Le motif du retard n’est pas sans importance chez Barthes ; les « avenirs de Barthes », il nous semble, ont souvent tardé. Des débuts jusqu’aux derniers cours et ouvrages, si l’écriture de Barthes manifeste une force de rupture, des accélérations de pensée, elle compose avec un suspens existentiel, une traversée de l’attente ; en cela, elle aurait partie liée avec une certaine modalité de la patience. C’est cette patience en sa singularité qui fait ici l’objet de notre questionnement. Quel statut est-il possible de lui accorder ? Quel sens, tant existentiel que scriptural, lui donner ? Blanchot aura parlé de « l’étonnante patience [1] » de Proust, pour évoquer la nécessaire attente que le temps se perde, afin que l’œuvre puisse s’écrire, que La Recherche se dessine au-delà de Jean Santeuil ; or Barthes, on le sait, a choisi Proust comme guide initiatique au seuil de sa vita nova. Nous nous interrogerons sur sa propre patience, à l’aune de cette détermination blanchotienne de la patience de Proust. Non pas pour rabattre l’une sur l’autre, mais pour préciser ce que serait cette longue endurance barthésienne du désir d’écrire, que dissimule peut-être la dialectique plus voyante des changements de paradigme qui ponctuent sa trajectoire. Notre explorerons l’hypothèse suivante : sans doute l’utopie du Neutre, en rencontrant la forme « intraitable » du Roman, aura permis à Barthes de surmonter la tentation du silence, après la mort de sa mère ; mais c’est le désir d’écrire même qui, en cette ultime relance, aura d’abord changé de statut en s’ouvrant à la « Pitié », manifestant peut-être le sens véritable de la patience de Barthes. Pour conduire cette enquête, nous examinerons une série de tensions, repérables dans le corpus barthésien des dernières années : nous verrons en quoi la question de l’âge, chez Barthes, aura été de longue date ambivalente, au-delà de son partage apparent entre le rejet du temps objectif et la valorisation du temps subjectif ; elle nous semble renvoyer, plus profondément, à l’articulation entre le désir d’écrire et une certaine modalité du fantasme qui, à défaut d’une recherche de la forme (que Barthes démarque souvent des investissements de la seule intelligence), peut lui faire obstacle. La dernière mesure d’hésitation de Barthes, manifeste dans la mise en scène de son projet de roman, recèle une tension supplémentaire, entre l’identification au scripteur Proust et celle au narrateur de La Recherche ; elle nous semble révélatrice de cette ambivalence du fantasme de vita nova, ultime épreuve de la patience barthésienne.
De la tentation du retrait au fantasme de la vita nova
Barthes a trente-huit ans quand Le Degré zéro (1953), première publication majeure [2], le fait accéder à une notoriété que consolident ses Mythologies(rédigées entre 1954 et 1956, assemblées en volume en 1957). On nous rétorquera qu’il n’est pas le seul et que, parmi ses contemporains, Lacan illustre bien davantage l’idée d’une gloire tardive. Ce qui frappe, à comparer la trajectoire de Barthes avec celle de quelques grands intellectuels appartenant à une cohorte générationnelle proche, plus que le caractère tardif en soi des premières publications en volume, c’est d’une part l’accès à une soudaine notoriété, d’autre part une situation institutionnelle qui restera fragile jusqu’au début des années 1960 [3]. Cette fragilité fait peser le sentiment d’une menace, d’une perte de temps, d’un risque existentiel de se trouver piégé dans quelque nasse, d’une course contre la montre qui, déjà, alors que la carrière de Barthes n’a pas encore véritablement commencé, imprime son pli. Cette conjoncture biographique souvent notée, selon laquelle Barthes n’est que tardivement « « sorti » des années sombres [4] », freiné par des obstacles ayant empêché le jeune homme d’emprunter un chemin plus prompt, n’est pas sans conséquence sur son rapport à la protension de l’écriture, comme à la tentation qui lui est opposée : d’un retrait valant abri contre la peur, cette grande passion barthésienne [5] ; en effet, Barthes avait notamment envisagé de prolonger le « mode de vie » du sanatorium en embrassant une « profession parasanatoriale [6] ». Temporalité si étrange qu’en 1977, Barthes évoquait encore « ce sentiment bizarre d’être perpétuellement cinq ou six ans moins âgé [7] » qu’il ne l’était : retard à la fois constaté et comme dénié. Pour comprendre le rôle joué par cette question de l’âge, ces années ne seraient donc pas seulement à objectiver en retard – par rapport à quelle norme ? quel critère ? – mais également à inscrire dans un certain flottement de l’âge comme donnée subjective. Il nous semble que ce délai ambivalent éclaire le sens de l’avenir de Barthes ; il désigne une hantise de l’âge, laquelle induit une tension entre un sentiment d’urgence, qui a pu motiver une intense activité intellectuelle, et la tentation d’une sortie du jeu, travaillant peut-être plus subrepticement l’écriture. Déjà, le Neutre passif, le Neutre actif [8].
C’est tard également que Barthes thématise massivement le motif de la vita nova emprunté à Dante [9], bien qu’il soit d’intérêt plus ancien [10] : quelques années avant une mort certes prématurée, à l’âge où il n’est toutefois généralement plus temps de songer à la vie nouvelle – où pareil projet semblerait même incongru, même si Barthes se réfère à des précédents célèbres, à Dante et Michelet : réaction d’un homme que le temps semble prendre de court. Barthes a soixante-trois ans quand intervient le « concernement personnel [11] » de la mortalité, le passage de la connaissance abstraite de celle-ci à son sentiment intériorisé – lequel, précise Barthes, n’est pas spontané (à l’inverse serait la croyance, logée dans l’inconscient du sujet, en son immortalité). Cette tardive assomption en première personne de sa finitude pèse sur la décision de l’emploi du temps qui reste. C’est pourquoi, précise Barthes,
le « milieu de notre vie » n’est évidemment [nous soulignons] pas un point arithmétique : comment, au moment où je parle, connaîtrais-je la durée totale de mon existence ? C’est un point sémantique, l’instant, peut-être tardif [nous soulignons également], où survient dans ma vie l’appel d’un nouveau sens, le désir d’une mutation : changer de vie, rompre et inaugurer, me soumettre à une initiation, tel Dante s’enfonçant dans la selva oscura, sous la conduite d’un grand initiateur, Virgile (et pour moi, du moins le temps de cette conférence, l’initiateur, c’est Proust) [12].
Autrement dit, les âges seraient des « cases sémantiques [13] ». Comment ne pas acquiescer à ces distinctions ? Il nous faut néanmoins prêter attention à certains traits énonciatifs. Faut-il faire entièrement crédit à Barthes de ce dégagement à l’égard de l’arithmétisation du temps ? Cette justification même est éloquente, comme l’est cette étrange modalisation, par laquelle cet instant de bascule se voit qualifié de « peut-être tardif » ; elle-même fait contraste avec le modalisateur qui le précède, de sens opposé : « évidemment ». De l’euphémisation à la dénégation, il n’y a qu’un pas. Barthes souligne l’âge de Proust – trente-huit ans (le nombre fait écho) – quand l’écrivain, ayant traversé, lui aussi, une période de deuil et d’atermoiements, se lance dans l’écriture de la Recherche [14]. Cette identification s’étaie sur l’épreuve de la mort de la mère, à laquelle Barthes fait référence à propos de Proust, et à demi-mot dans cette conférence, pour lui-même : « […] quoique tardif, ce deuil sera pour moi le milieu de ma vie [15] ». On note, d’une part, que la modalisation a disparu, dans cette nouvelle occurrence de l’adjectif « tardif », et, d’autre part, que le recours au futur implique cette responsabilité qui, par le bon usage du temps qui reste, seule rendra effective cette scansion existentielle. De même, au début de La Préparation du roman, qui reprend la matière de cette conférence donnée peu avant (le 19 octobre 1978), cette modalisation est également absente. Plus tard, dans ce même cours, Barthes énonce : « Mais je crois tout de même que là où il [le fantasme de rupture de la vita nova] est le plus intéressant, si vous me permettez de le dire, c’est au moment de l’entrée dans la vieillesse [16] ». Déjà, dans le cours sur le Neutre, il y avait position d’une affinité entre ce fantasme conversionnel et l’âge : « fantasme très actif, surtout quand on vieillit [17] ». C’est justement parce qu’il y a ce poids de l’âge que la « Rupture » est requise comme manifestation de vitalité, comme figure de la bonne « retraite », tant semble y jouer une « fonction de la hâte [18] ». Nous ne parlerions pas d’une contradiction entre ces différentes postulations, mais d’un certain flottement quant à la question de l’âge tel qu’il est vécu, qui nous semble, ici encore, révélateur d’une tension entre un sentiment d’urgence dû à la course du temps des horloges et quelque attente plus secrète, quelque configuration moins consciente du désir.
Barthes semble tenir à cette distinction entre l’âge arithmétique et le sentiment d’un « milieu de notre vie ». Et pourtant il insiste, quant à sa « conversion » du 15 avril 1978, sur le rôle joué par cette absence de « “hors case [19]” » dont il eut la révélation, à savoir le fait que les ressources de temps dont il disposait se raréfiaient, n’autorisant plus une succession de projets différents. Or, cette prise de conscience pose problème, puisqu’un certain sens de l’avenir participe de l’économie psychique de l’écriture barthésienne, de l’idiosyncrasie de son désir d’écrire :
Et l’Écrire, du moins le mien, a quelque chose de protensif, c’est-à-dire qu’écrire, pour moi, se constitue à partir de l’avenir, et cet avenir est sans contenu, il ne se remplit jamais, sa nature est en quelque sorte hémorragique, puisqu’il remet sans cesse le temps en marche [20][…]
Si le « hors case » comme « avenir sans contenu » conditionne le désir d’écrire, que se passe-t-il, à partir du moment où, pour Barthes, la mort devient « réelle », où le « chagrin » a brisé la croyance inconsciente en sa propre immortalité [21] ? Dès lors que les ressources d’une case surnuméraire disparaissent, se pose la question de la possibilité même d’un renouvellement du désir d’écrire, si bien que le statut du fantasme de la vita nova devient énigmatique. Certes, il reste de l’avenir, mais celui-ci doit se déterminer une dernière fois – ce qui dramatise nécessairement la décision, puisqu’elle se lestera du poids d’un sens qui, devenu destinal [22], éclairera rétrospectivement l’ensemble d’une trajectoire de vie. Barthes avait déjà fortement insisté sur l’importance, pour lui, du geste de la « prolepse [23] » ; la préparation du roman n’est-elle qu’une figure supplémentaire à ajouter à la longue liste de ces effets d’annonce par lesquels Barthes se fait « le Jean-Baptiste de [soi]-même » ? Or, dit Barthes, « ces manœuvres dilatoires, ces redans du projet, c’est peut-être l’écriture elle-même [24] ». Il y aurait un envers du projet, plus décisif que celui-ci, qui serait l’endurance du désir d’écrire. C’est ce qui explique, il nous semble, ce balancement sur lequel nous reviendrons : le motif de la vita nova étant pris entre, d’une part, le réagencement du fantasme [25], la reconduction d’un autre leurre et, d’autre part, ce qui s’apparenterait peut-être à quelque « traversée du fantasme [26] » qu’incarnerait le Tao comme figure du Neutre : « En fait, le refus du monde est le dernier leurre de l’imaginaire […] D’où une sagesse : la “sagesse” Tao qui consiste, comme toujours, à ne pas être systématique : comportement qui est le contraire du fantasme [27] […]. » Barthes voit bien en quoi ce refus du système équivaut, subjectivement, au rejet d’une configuration rigide voire subie du fantasme, en dépit de la valorisation méthodologique du fantasme dans les derniers cours [28].
Ainsi, dès le début et jusqu’aux infléchissements de la dernière période, l’entreprise barthésienne semble être inscrite sous le signe du délai et de l’urgence induite ; mais celle-ci n’échappe pas à l’ambivalence du rapport du désir au fantasme, s’en soutenant nécessairement et cherchant sans doute à se libérer de ce qui, en lui, masque la vérité du sujet, autrement dit le noyau énigmatique de son être, son « point aveugle », qui chez Barthes signale l’origine inassignable de son désir d’écrire. En effet, si le désir ne peut faire l’économie de toute modalité fantasmatique, une certaine quête de vérité du sujet – ce que nous voudrions appeler sa patience– l’invite à cerner au plus près la béance originaire qui le constitue comme tel ; ce que seul permet, chez un scripteur, le travail de la forme [29]. Dans le désir d’écrire qu’évoque Barthes, dans son dernier cours, qu’est-il attendu de soi, si ce n’est cette recherche d’une forme adéquate, peut-être restée en souffrance ?
Le retour en « spirale » et l’assomption du « point aveugle »
S’il y a une attente chez Barthes, susceptible de verser parfois dans la mélancolie (la « marinade » flaubertienne au sein de laquelle la fameuse « conversion » aura surgi [30]), la confiance en l’écriture est telle qu’elle exclut l’attentisme. Qu’est-ce qui, depuis cette croyance incessamment renouvelée en la valeur de l’écriture, pendant plus de vingt-cinq années d’une intense fécondité intellectuelle, d’acquisition d’une position de premier plan dans son champ (quoique singulière, cultivant la marge), pour ainsi dire attend son heure ?
« À la fois je m’obstine et je me modifie [31]. » Il y a à la fois continuité et discontinuité de la trajectoire barthésienne. À y adjoindre le motif du retard, telle pourrait être l’équation rassemblant, du moins jusqu’à la vita nova, les principales déterminations du rapport de Barthes au temps. Le motif qui conjoint ces deux motions est la spirale inspirée de la pensée de Vico [32], d’une grande insistance dans le corpus barthésien : d’une « phase [33] » à l’autre, Barthes repasse, comme à un autre niveau, au-dessus d’un même point, en quête de la « tierce forme [34] ». D’une part donc, investissement récurrent d’un nouvel objet théorique, d’une nouvelle méthode, d’un nouveau champ : mouvement tant pulsatile que prospectif que motive quelque impatience intellectuelle ; d’autre part, dans ce renouvellement rapide qu’exigent les combats de l’époque : constance, malgré tout, des principales intuitions, et des métaphores qui les cristallisent. Ces deux motions, de vectorisation inverse, forment une tension féconde : ce n’est jamais à la faveur d’une table rase, que la force de novation barthésienne conquiert de nouveaux territoires. Impatience barthésienne donc, appel au « Nouveau » – sachant que rien n’arrête davantage le désir que la « forclusion de tout Nouveau, ou encore de l’Aventure [35] », mais jamais sans qu’un fil intime, à chaque rencontre de l’autre, n’aiguillonne le frayage. Dès le début donc, il y aura eu « (l’envie d’écrire) » comme cet invariant placé, dans le tableau des « phases », entre parenthèses. Accrochés à celui-ci, certains motifs traversent toute l’œuvre. Comment, plus précisément, se trouvent-ils réinvestis selon les exigences de l’heure [36] ? Le dossier est complexe et surabondant ; contentons-nous de mettre l’accent sur deux déplacements tardifs : ce qu’on peut appeler leur assomption subjective et, corrélativement, le passage d’une position d’énonciation théorique au « comme si [37] » de la pratique. La figure proustienne, identificatoire et heuristique, déjà ancienne dans l’œuvre de Barthes [38], serait l’opérateur majeur de cette bascule.
Comment rendre compte de telles « continuités [39] » ? C’est parce qu’elle est en prise sur le corps [40], sur le désir, que l’écriture barthésienne peut aspirer à dépasser le registre de l’endoxal [41]. Barthes s’est expliqué sur l’usage qu’il fait d’un mot qui vaut emblème [42], préférence étant donnée au « désir du mot » sur l’approfondissement exclusivement conceptuel. Ainsi l’illustre la fortune intratextuelle du syntagme de « degré zéro [43] », vingt-cinq ans après la publication de l’ouvrage qui a révélé Barthes, dans le cours sur Le Neutre, où il est devenu l’une des figures de ce Neutre substantivé, doté d’une majuscule et précédé de l’article défini alors que le « terme neutre » avait d’abord été comme l’équivalent du « degré zéro ». Ces métaphores voisinant avec le concept sans s’y fixer se relancent, à chaque inflexion du trajet barthésien. Au moment du Plaisir du texte, c’est le plaisir qui est dit « un neutre [44] ». Le terme a considérablement gagné en extension : les enjeux du jeune théoricien se sont déplacés, de l’analyse du discours à un vaste champ trans-sémiotique dont le centre de gravité est avant tout éthique, par remaniement de cette « responsabilité de la forme » à coloration d’abord marxiste et sartrienne, telle que portée par « l’écriture » dès 1953, qui se prolonge jusqu’à la Leçon inaugurale [45] et au-delà.
Le premier, Barthes a conscience de tels effets de spirale, comme en témoigne son usage insistant du terme. Que ce soit dans un entretien de 1974 : « […] j’aime et je commente les mêmes objets et les mêmes valeurs qui étaient présents dans Le Degré zéro de l’écriture : le langage, la littérature et cette notion même de “degré zéro” qui renvoie à l’utopie d’une levée des signes, d’une exemption du sens, d’une indivision du langage, d’une transparence des rapports sociaux [46] », que ce soit plus tard dans le cours sur le Neutre ou ailleurs [47], l’aveu est réitéré. C’est que ces syntagmes ont pour référent ce que Barthes nomme « un affect obstiné [48] ». Avant de se constituer en outil heuristique, le Neutre puiserait dans la psychogenèse du scripteur, aussi loin que l’enfance, comme le reconstruit Barthes après-coup [49]. Mais c’est uniquement sur le tard que ces motifs sont assumés comme tels, c’est-à-dire quand l’âge, une position acquise, l’époque sans doute aussi autorisent le désir à venir se monnayer dans un discours de l’intime. C’est donc également la position subjective de Barthes par rapport à ces objets qui a évolué : « La description topique, exhaustive, finale de ce désir de Neutre ne m’appartient pas : c’est mon énigme [50] […] » Barthes le concède : le Neutre se situe à la place de sa propre « tache aveugle », comme dans ce passage à l’intertexte lacanien : « Le Neutre, l’envers, mais l’envers qui se donne à voir sans attirer l’attention : ne se cache mais ne se marque pas (très difficile) : en somme, quelque chose comme La Lettre volée [51] ». Tout se passe comme si le travail entrepris par Barthes, de mise en jeu de son désir d’écrire, impliquait cette assomption du Neutre au lieu même de son émergence, dans cet effort d’échappement hors des paradigmes constitués, en visant à cette limite « atopique » « entre le distinct et l’indistinct [52] ». Il nous semble que le Neutre n’est autre que l’index de cette mobilité, dont il se donne, scansion après scansion, comme l’effectuation même.
Un second déplacement doit ici être noté, qui concerne la notion de « forme ». Pour cerner l’évolution de cette notion, vingt-cinq années après Le Degré zéro, il faut suivre Barthes qui la distingue d’une série d’autres termes (« doctrine », « théorie », « philosophie », « méthode », « croyance ») juxtaposés dans une énumération où, par leur caractère hétéroclite, leur différence de statut épistémique, ils s’en trouvent tous relativisés :
Changer de doctrine, de théorie, de philosophie, de méthode, de croyance, bien que cela paraisse spectaculaire, est en fait très banal : on le fait comme on respire ; on investit, on désinvestit, on réinvestit : les conversions intellectuelles sont la pulsion même de l’intelligence, dès lors qu’elle est attentive aux surprises du monde ; mais la recherche, la découverte, la pratique d’une forme nouvelle, cela, je pense, est à la mesure de cette Vita Nova, dont j’ai dit les déterminations [53].
Par contraste, c’est cette « forme » qui s’en voit rehaussée. Un indice réside dans le terme de « pratique ». Barthes l’avait bien dit : « […] la connaissance d’une chose (en l’occurrence le langage) appartient à ceux qui la pratiquent. Pensée même proprement révolutionnaire [54]. » Cette distinction rejoue ce que Barthes avait déjà énoncé du temps « défectif » de l’écriture, à entendre comme « activité [55] » : la forme est du côté de l’implication dans une activité, et l’écriture comme activité manifeste le désir du scripteur. Lestermes de la première série relèvent donc de l’intelligence, tandis que la « pratique d’une forme nouvelle » convoie les investissements associés à l’écriture, et par conséquent relève d’une jouissance qui est celle du scripteur. D’où la relation entre la « mise en position » comme exigence énonciative du cours, de portée méthodologique et éthique, contre l’idée d’un exposé prétendument objectif, uniquement transitif, et le fantasme de la vita nova appelant un changement de forme. Barthes en vient à assumer en première personne cette « responsabilité de la forme » dans ce qu’elle a d’insubstituable, en tant qu’elle engage « ce que je crois [56] ». Sans doute Barthes répète, dans La Préparation du roman, ce qu’il avait déjà dit dans la Leçon inaugurale : qu’il faut poser un fantasme au début de chaque cours [57], cependant que le fantasme change de statut en se projetant sur la figure initiatique de Proust, en dessinant les contours de l’œuvre désirée :
[…] et je puis essayer de m’approcher au plus près, par une sorte d’ébauche, de cette Œuvre blanche, de ce Degré zéro de l’œuvre (cette case vide, actuellement vide, mais fortement signifiante dans le système de ma vie) et, je dirais, je puis m’en approcher, de cette œuvre, asymptotiquement [58].
Qu’en est-il alors du Neutre, dans cette dernière étape ? Au début de La Préparation du roman, face à la « dernière case [59] », le Neutre peut sembler résider avant tout dans le « goût du retrait ». Tandis qu’au début du cours sur le Neutre, après l’annonce publique du deuil, le Neutre pointait ce qui sépare le « vouloir-vivre déjà décanté de la vitalité [60] », il semble en venir, du moins provisoirement, à s’inscrire dans une alternative, dont l’autre branche serait la relance du désir par l’action. En ce retrait silencieux inspiré du zen, comment peut-il encore conserver ce « Non irréductible [61] » qu’il opposait quelques mois plus tôt à la mort ? Peu après, Neutre et roman trouvent une voie de convergence : « Le roman est peut-être l’écriture du Neutre ? Pourquoi pas [62] ? » Tout se passe comme si le Neutre en venait à nommer le désir d’écrire, d’autant que Barthes précise : « Ce que moi j’appelle “Technique” en écriture, c’est au fond l’expérience morale et humble de l’Écriture [Barthes vient de citer un propos de Kafka rapporté par Gustav Janouch], qui n’est pas très éloignée en somme du Neutre [63] ». Effet de spirale ici encore, tandis que s’ouvre une nouvelle carrière pour le désir d’écrire. Mais aussi, sorte de balancement, dans l’articulation entre le Neutre et le Roman – ou plutôt le « romanesque [64] » au sens que Barthes lui donne. C’est cet enjeu qu’il nous reste à circonscrire plus précisément. Avançons ceci, déjà entrevu : ce n’est plus seulement, avant tout, la sclérose des paradigmes qui, depuis le chagrin, menace le désir d’écrire, mais le Temps même qui pèse sur lui [65].
La patience de Barthes (entre Proust et Blanchot)
Qu’en est-il alors de cette patience de Barthes ? La « Patience », dans La Préparation du roman, renvoie localement à l’organisation du temps de celui qui passe du Vouloir-Écrire à l’écriture effective, et évoque, de ce fait, uniquement la deuxième des trois « épreuves » initiatiques que doit traverser l’aspirant écrivain, la première étant le « doute » quant au « choix » de la forme, et la troisième le risque de « séparation [66] » d’avec la société, que la publication de l’œuvre oblige à assumer. Nous pouvons décider d’attribuer une extension plus vaste à ce terme de patience, pour en faire coïncider le périmètre avec l’épreuve précédente, celle du choix de la forme. C’est à cette condition sémantique que nous pouvons comparer cette patience avec celle que Blanchot attribue à Proust.
Rappelons ce que Blanchot entend, dans L’Espace littéraire, par cette étonnante patience. Partant du constat que dès Jean Santeuil, Proust dispose du motif principal de La Recherche, « la clé de l’art », Blanchot concède qu’on puisse, certes « naïvement », s’étonner du temps qu’il aura fallu à Proust pour se décider d’écrire son « œuvre véritable ». La réponse, elle-même naïve précise Blanchot, est dans Jean Santeuil : c’est qu’il n’a pas encore atteint « son langage », la formule et le dispositif par lesquels l’éclat de la réminiscence puisse se communiquer au lecteur. Dans une perspective qu’on pourra juger exagérément téléologique, Blanchot avance que plus l’œuvre de Proust « s’attarde, plus elle se rapproche d’elle-même [67] ». Évidemment, aucune œuvre dominante, du moins « écrite », n’aimante pareillement la trajectoire de Barthes vers l’homologue de cet accomplissement proustien tardif, sauf peut-être La Chambre claire, qui réussit à intégrer le « chagrin [68] », soit l’indialectisable [69], à une forme d’écriture [70]. Remarquons d’abord que le « Neutre » ne revêt pas exactement le même sens chez Blanchot et chez Barthes [71]. Dès Le Degré zéro, l’ambivalence de la position de Barthes à l’égard de Blanchot consiste en ce que, tout en marquant son admiration pour les tentatives récentes auxquelles celle de Blanchot prend bonne part, Barthes se pose comme analyste d’une tendance à laquelle, en tant que théoricien et critique, il est d’abord extérieur. Blanchot, à son tour, se réfère au texte de Barthes dans L’Espace littéraire ; il entérine la reconnaissance par Barthes de sa propre tentative en associant le « degré zéro », la « neutralité » et « la place vide [72] ». La lecture de Blanchot est élogieuse et, en même temps, entend se démarquer de l’énoncé de Barthes, quand Blanchot parle, à propos de l’écriture, d’un « espace clos, séparé et sacré, qui est l’espace littéraire ». Le « degré zéro » qu’évoque Barthes à propos de Blanchot, lui, n’implique pas, du moins explicitement, de mystique de l’écriture ; quand Barthes écrit : « Cette écriture sacrée, d’autres écrivains ont pensé qu’ils ne pouvaient l’exorciser qu’en la disloquant [73] », par « écriture sacrée », il évoque ce que, justement, « l’écriture blanche » d’un Blanchot viserait à défaire, contre la fausse transcendance de « la grande écriture traditionnelle ». Le signifiant de « sacré » est pris, ici et là, selon deux valeurs presque opposées. Pour Blanchot, « le langage [est] devenu la profondeur désœuvrée de l’œuvre [74] », cependant qu’il n’est pas certain qu’en 1953, ce soit un propos que Barthes puisse tout à fait faire sien (bien qu’une autre lecture soit possible [75]), si même ce le devint jamais. Blanchot, quant à lui, explicite cet écart de point de vue dans les dernières lignes du texte : « écriture blanche » contre « expérience de la “neutralité” [76] ». À l’autre bout du parcours de Barthes, après un certain nombre d’années où Blanchot est moins présent pour Barthes, le rapport à Blanchot nous semble suivre un double mouvement, de vectorisations opposées. Une apparente convergence avec Blanchot, comme le montre le nombre de références à celui-ci dans le cours sur Le Neutre, indiquant l’empan devenu plus expérientiel et ontologique de l’interrogation barthésienne sur le Neutre (quant à la « fatigue [77] », à la mystique rhénane [78], entre autres), indiquant également l’apparition de la mort dans sa vie [79]. Mais, en dépit de ces convergences et des déclarations répétées d’admiration à l’égard de Blanchot, une divergence se creuse : Barthes démarque son projet de celui de Blanchot, en disant vouloir renoncer, par souci de « simplicité », à user du « discours de l’œuvre sur l’œuvre », à savoir ce « code métalinguistique » que Barthes attribue à Blanchot, dans sa tentative d’« exténuation tragique de la littérature [80] » – simplicité qui tranche également avec ce que Barthes avait appelé « bathmologie ». L’abandon par Blanchot de la forme narrative du récit semble confirmer cette direction inverse au projet (ou fantasme) barthésien du roman, impliquant une tentative d’intégration du discontinu au continu. Nous verrons quelles conséquences en induire.
Barthes évoque l’indécision des genres qu’il attribue à Proust (comme le fait Blanchot, mais selon des modalités distinctes) : entre roman et essai, entre l’engendrement narratif de la métonymie et l’interrogation interprétative de la métaphore, pour reprendre l’opposition structurale empruntée à Gérard Genette [81], indécision que l’écrivain finit par surmonter en découvrant la formule de la Recherche, cette « tierce forme » déjà évoquée. Et comme pour Proust, il y a bien hésitation barthésienne sur la forme. Or, en se refusant par souci de « simplicité » au « discours sur l’œuvre », Barthes se prive sans doute de la possibilité d’inspiration proustienne, devenue lieu commun, de faire un roman de la venue à l’écriture [82]. Cette identification, comme Barthes s’en explique, implique certes une « confusion de pratique, et non de valeur [83] » : c’est semble-t-il dans le geste d’écriture que Barthes dit se projeter, plus que dans quelque personnage comme c’est généralement le cas du lecteur qui n’a pas d’ambition d’écriture. Proust, par la structure en spirale de la Recherche, récit d’une vocation rendant possible le texte que le lecteur a sous les yeux (ou peut-être quelque équivalent à venir), « est le lieu privilégié de cette identification particulière [84] ». L’identification au narrateur-personnage ne peut toutefois pas être rejetée. Elle intervient, d’une part, àl’évocation de la mort de la grand-mère (nous avons vu que le deuil renforçait l’importance de longue date acquise de la figure proustienne) ; d’autre part, dans La Préparation du roman, Barthes compare le satori de sa conversion à l’illumination du narrateur proustien, à la fin du Temps retrouvé [85], tout en soulignant que, quand le narrateur connaît l’illumination, l’œuvre est déjà écrite. Il y a donc, dans l’identification barthésienne à Proust, une tension, ici encore, entre le plan du geste d’écriture et sa mise en abyme intradiégétique [86]. Cette identification double explique que Proust serve à la fois de plan projectif fantasmatique et d’outil heuristique, sans que les deux parviennent, pour Barthes, à s’amalgamer dans un dispositif unique – si l’on met de côté La Chambre claire.
Cette hésitation en rejoue une autre plus ancienne, entre le discours théorique de l’« écrivant » et ce qui le déborde, du côté du « point aveugle » contre lequel vient buter la réflexivité, auquel se ressource le désir d’écrire. Barthes n’a cessé de chercher une écriture du savoir qui soit en même temps désirante [87], au cœur de l’écriture essayistique. Mais cette hésitation se déplace dès lors que le fantasme du Roman [88] devient ce qui résiste à la prise en charge théorique de l’objet Roman (de même que la Mère est absence de métalangage [89]). Le « Grand Projet [90] » fantasme l’annulation de la distinction entre le produit et la production, pour se faire tout entier désir : « l’essence non scientifique du roman » implique le « déni du genre “Roman [91]” ». Le fantasme de Barthes vise ce qu’il appelle « Nécessité [92] » : ce qui combat en lui le sentiment d’arbitraire suscité par la plupart des romans. Ce fantasme est d’autant plus puissant qu’il se mesure au risque du silence que fait peser le « chagrin » : seule l’attention à cette « cime du particulier [93] », la méditation renouvelée sur le « tel » peut aiguiller cette voie nouvelle. C’est à cette condition que le Roman peut valoir témoignage pour l’être aimé, être dit « Souverain bien » comme l’est également appelée la mère. Partant, ce rôle de pivot joué par le haïku, en ce qu’il est « une action (un acte d’écriture, une action d’écriture, acting/action) entre la vie et la mort [94] », comme perception d’un « futur imminent ». Le Neutre s’y déploie sur la ligne de crête qui relie le Non-Vouloir-Saisir [95] à cette légère éraflure qui, malgré tout, anime le désir [96]. Le Roman, en accueillant ces « moments de vérité », opère un « retour de la lettre [97] » : figure de la spirale, ici aussi, qui passe au-dessus du réalisme de convention et de son ancienne dénonciation par Barthes. Par là, grand thème de la « Pitié », partagé avec La Chambre claire : « Moment de l’Intraitable [98] ». Ce « futur imminent », en parlant par anticipation de ce qui a déjà eu lieu pour Barthes, désigne la perte de l’être irremplaçable : le futur imminent diégétique est existentiellement rétrospectif pour le scripteur.
Le balancement entre le Vouloir-Écrire et la tentation de l’Oisiveté, voire du Non Agir taoïste, largement thématisé dans le dernier cours [99], nous l’avons vu, n’est pas nouveau non plus : « (Toute ma vie, je vis ce va-et-vient : pris entre l’exaltation du langage (jouissance de sa pulsion) […] et le désir, le grand désir d’un repos du langage, d’une suspension, d’une exemption [100].) » Mais ses enjeux, là encore, en sont rejoués. La dernière relance de cette alternative porte aux confins de l’éthique et de l’esthétique [101], puisqu’elle vient inscrire dans le romanesque une butée silencieuse qui le menace. Le roman peut-il prendre en charge le « satori du Définitif [102] » ? Si l’écriture doit endurer la patience d’une transformation de soi [103], pour connaître l’incertaine réponse à cette question, le destin de Barthes était sans doute de s’y affronter encore : « Par conséquent, tout ce que je peux avoir maintenant, c’est une certaine idée de l’attente, de l’attente du livre, de l’attente de la décision […] ». Les esquisses de la Vita Nova ne témoignent-elles pas de cette recherche [104] ? Ainsi, à l’instar du Neutre, la patience barthésienne ne peut pas être confondue simplement, il nous semble, avec la patience que Blanchot attribue à Proust : au cœur du vide laissé par la mort de la mère, en dépit de la négativité inhérente à cette confrontation à la mort, à l’irréductibilité d’une perte qu’aucune écriture ne peut lever [105], le désir barthésien vise malgré tout à quelque positivité, quoique ténue, minimale [106] – l’équivalent scriptural du punctum au voisinage de la « Notation », tandis que la patience blanchotienne, pour le dire trop simplement, n’est jamais qu’en rapport impossible au centre énigmatique de « l’espace littéraire ». Mais Barthes ne peut, non plus, faire totalement sienne la mystique proustienne de l’écriture et le motif de la réminiscence qui la soutient ; sa patience ne saurait être intégralement proustienne, les pistes suggérées par Barthes, quant à l’intégration du discontinu dans le Roman, relèvent d’une autre dynamique et ses résistances lui sont propres [107]. Autrement dit, « l’exemption du sens » à laquelle Barthes n’a cessé d’aspirer enveloppe, en son dernier moment, une puissance de dénotation – que la passion sémiologique, on le sait, avait dépréciée –, mais comme asymptotique, tendant vers la matité de « l’ininterprétable [108] ». Le Neutre barthésien, en son ultime avatar du « c’est ça », s’écarte d’une certaine violence nocturne, celle de « l’autre nuit » blanchotienne, tout en accueillant l’irréductible de la perte. Cette positivité, la photographie peut la réaliser matériellement (chimiquement), c’est-à-dire charnellement, par la contiguïté qu’elle conserve avec son objet même disparu, en tant que trace. Le roman ne peut, en dernier ressort, que l’invoquer et, ce faisant, l’absenter : c’est ici l’enseignement mallarméen de Blanchot, auquel Barthes donne un tour personnel : il le tire du côté d’une confiance renouvelée en la littérature – mais confiance qui ne peut, du moins sans reste, se résorber dans la seule identification proustienne. La voie barthésienne, on le voit, est étroite.
« Peut-être tardif… » La patience de Barthes aura été, il nous semble, davantage que l’attente d’un terme déterminé dans l’ordre du temps, la capacité d’endurer le désir [109] d’écrire –, jusqu’au moment où, face à la mort de l’être aimé, ce désir serait ultimement mis à l’épreuve ; alors les différents registres de tension qui traversent son parcours (entre le temps objectif du compte de l’âge et le temps subjectif du désir, entre les investissements de l’intelligence et la mise en jeu de l’affect dans la forme, entre les différents choix possibles auxquels invite le renouvellement de cette forme, entre la relance permanente de l’écriture et la tentation de longue date du silence) seraient ultimement dramatisés par une impérieuse exigence éthique. De loin en loin donc, se donner le temps de l’attente, non pas sans doute pour jouer sa vie au quitte ou double de l’écriture, mais pour éprouver plus intensément la brûlure du désir, comme une propédeutique à l’éclat du satori – condition du frayage, à chaque étape, d’une voie nouvelle : d’une mise en jeu du « Nouveau ». Recherche d’un « troisième terme » non synthétique, mais « excentrique, inouï [110] », inlassable remise en jeu de son matériau fantasmatique, selon les contraintes du champ intellectuel. En cela, le geste barthésien présente une originalité, parce qu’il conjoint, au plus intime de soi, la libido sciendi et le scripturire [111] – mais en définitive, toujours au service de l’écriture. Alors que certains intellectuels, à l’instar de Foucault, finissent par désinvestir le signifiant de l’écriture au cours des années 1970, en se déprenant d’une fascination blanchotienne, Barthes en poursuit l’élaboration tout en conservant une certaine distance à l’égard de Blanchot, en dépit de l’apparente convergence tardive ; il ébranle l’intransitivité du verbe « écrire » dont il s’était fait la voix, mais sans pour autant renoncer à y mettre son « Souverain bien ». « S’entêter veut dire en somme maintenir envers et contre tout la force d’une dérive et d’une attente [112] » : lorsque Barthes se trouve confronté au « Définitif », il ne peut surmonter la tentation de se taire qu’en cherchant une forme adéquate pour en dire l’ébranlement, forme devant rejouer l’ensemble de son parcours et, en même temps, le réinventer. Appelons patience, cette longue attente conduisant le désir d’écrire, fantasmant depuis toujours l’exemption utopique du sens, à la rencontre de l’Intraitable ; alors seulement, au plus près du silence, s’entrouvre une porte – on ignore si elle fut franchie.
[1] Maurice Blanchot, Le Livre à venir (1959), Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2001, p. 29.
[2] Il suffit de consulter la table du premier tome des œuvres complètes de Barthes pour nuancer le côté abrupt de cette déclaration. Barthes publie des articles dès 1942, la plupart d’abord dans Existences, revue du sanatorium et, à partir de 1950 surtout, dans Combat et dans une moindre mesure Esprit.
[3] Barthes n’obtient de poste stable à l’EPHE qu’en 1962 ; voir la biographie de Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, Paris, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2015, p. 335-336.
[4] Tiphaine Samoyault parle de « rattraper le temps perdu » (ibid., p. 207) – expression éloquente –, à la sortie du sanatorium ; c’est à cette même biographie que nous empruntons l’expression citée (p. 248).
[5] Voir le fameux exergue hobbesien du Plaisir du texte.
[6] Roland Barthes, Œuvres Complètes, Paris, Seuil, 2002, nouvelle édition revue, corrigée et présentée par Éric Marty [désormais : OC], V, p. 365.
[7] Ibid., p. 366. Extrait cité par Philippe Roger dans Roland Barthes, roman (1986), Le Livre de poche, coll. « Biblio essais », 1990, p. 417.
[8] Voir Antoine Compagnon, « Le roman de Roland Barthes », Critique 2003/11 (n° 678), p. 793.
[9] Dante, Vita Nova, traduction d’André Pézard, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1965.
[10] Voir notamment « Drame, poème, roman » publié dans Critique en 1965, repris dans Théorie d’ensemble, coll. « Tel Quel », Paris, Seuil, 1968, puis dans Sollers écrivain, Paris, Seuil, 1979 (OC, V, p. 583-604).
[11] Voir, entre autres occurrences de ce syntagme dans l’œuvre de Vladimir Jankélévitch, La Mort, une des premières sections intitulée : « La prise-au-sérieux : Effectivité, Imminence, Concernement personnel ».
[12] « “Longtemps, je me suis couché de bonne heure” » (Conférence au Collège de France, 19 octobre 1978, publiée dans la collection « Les Inédits du Collège de France », 1982), OC, V, p. 465-466.
[13] Roland Barthes, La Préparation du roman, Cours au Collège de France 1978-79 et 1979-80, texte annoté par Nathalie Léger, transcription des enregistrements par Nathalie Lacroix, avant-propos de Bernard Comment, Paris, Seuil, 2015, p. 99. C’est cette seconde édition du cours, établie à partir des enregistrements, que nous utiliserons.
[14] « “Longtemps, je me suis couché de bonne heure” », op. cit., p. 461.
[15] Ibid., p. 467.
[16] La Préparation du roman, op. cit., p. 389.
[17] Roland Barthes, Le Neutre. Cours au Collège de France (1977-1978), texte établi, annoté et présenté par Thomas Clerc, Seuil / Imec, coll. « Traces écrites », Éric Marty (s. dir.), « Les cours et les séminaires au collège de France de Roland Barthes », 2002, p. 190-191.
[18] Le syntagme est de Lacan. Il relève de la notion de « temps logique ». Voir, entre autres références, « Fonction et champ de la parole et du langage », in Écrits, Paris, Seuil, 1966. Catherine Millot considère que la vita nova a une affinité particulière avec la vieillesse (voir O solitudes (2011), Paris, Gallimard, coll. » folio », 2013, p. 92-93). Et Marie Gil souligne dans sa biographie (Roland Barthes. Au lieu de la vie, Paris, Flammarion, coll. « Grandes biographies », 2012, p. 472) la relation intrinsèque entre cette vita nova et le deuil : « La Vita Nova n’est qu’un autre nom du deuil, sa face blanche. »
[19] « “Longtemps, je me suis couché de bonne heure” », op. cit., p. 466.
[20] La Préparation du roman, op. cit., p. 281.
[21] Roland Barthes, Journal de deuil, texte établi et annoté par Nathalie Léger, Paris, Seuil, coll. « Essais », 2009, p. 130.
[22] Sans qu’il y ait pour autant, chez Barthes, l’envie « d’assumer un “destin” intellectuel » (voir l’avant-propos de 1971 aux « Essais critiques », OC, II, p. 272).
[23] Voir Roland Barthes par Roland Barthes (Paris, Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1975), OC, IV, p. 745.
[24] Ibid., p. 746. Pour une analyse de l’évolution et des spécificités de la dimension dilatoire de l’écriture de Barthes, participant à la « résilience » de son désir d’écrire, on se reportera à l’intervention d’Adrien Chassain, « L’écriture potentielle : théorie et pratique de la forme “prospectus” dans l’œuvre de Roland Barthes », faite à la séance du séminaire « Barthes » du 4 juin 2016, écoutable sur le site : http://www.roland-barthes.org.
[25] Le Neutre, op. cit., p. 191-192.
[26] Ce syntagme lacanien renvoie à l’élaboration de « l’objet a », en particulier dans le séminaire XI. Voir Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse 1963-1964, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1973. Il est également en lien avec la conception plus tardive de « la passe ».
[27] Ibid.
[28] Notons que Barthes et Lacan n’utilisent sans doute pas « fantasme » dans le même sens, Barthes privilégiant le fantasme en tant qu’il peut être conscient. Sur l’usage du terme « fantasme » chez Barthes à partir de 1974, voir l’article de Magdalena Marciniak, « Le fantasme, pas le rêve… », Essaim 2016/2 (n° 37), p. 107-118. Éric Marty oppose la photographie au cœur de La Chambre claireau fantasme, soit le « “ça a été” » à l’image mentale ductile (voir Roland Barthes, la littérature et la mort, Paris, Seuil, 2010, p. 42-43). En d’autres mots, bien que le fantasme soit productif, en particulier dans la décision barthésienne de le mettre au principe de chacun des derniers cours, il y a une exigence éthique dans cette « traversée du fantasme » qui, seule, peut mener à l’Autre.
[29] Voir Éric Marty, Roland Barthes, la littérature et la mort, op. cit., p. 50-53. Le chagrin s’en tient à la « lettre », en refusant la dialectisation du « deuil ».
[30] Voir notamment La Préparation du roman, op. cit., p. 26 et p. 493.
[31] Le Neutre, op. cit., p. 34. Voir le bel article de Guillaume Bellon, « Le cours comme remake de l’œuvre : Barthes au Collège de France », Revue Analyses, vol. 6, nº 3, automne 2010, où cette citation et faite.
[32] Voir Roland Barthes par Roland Barthes, op. cit., p. 666, la spirale comme « le retour de la différence, le cheminement de la métaphore ». Pour la dernière période barthésienne, voir également La Préparation du roman, op. cit., p. 349. Pour une présentation de l’évolution et des enjeux de cette figure chez Barthes, voir Philippe Roger, Roland Barthes, roman, op. cit., p. 73-76. La spirale entretient des liens complexes avec la dialectique hégélienne. Pour une réflexion sur ce point, voir Andy Stafford, « Romand Barthes, dialecticien ? En dernière instance ? », in Roland Barthes Continuités, Colloque de Cerisy, 2016, Paris, Christian Bourgois, 2016, p. 221-244.
[33] Roland Barthes par Roland Barthes, op. cit., p. 718-719. Bien qu’« imaginaire » et ironique, ce tableau chronologique est éclairant. Se reporter également à l’entrée « Doxa/paradoxa » (p. 650), qui se conclut par : « Où aller ? J’en suis là. »
[34] Voir « “Longtemps, je me suis couché de bonne heure” », op. cit., p. 463.
[35] Ibid., p. 466. Le « Nouveau » n’est pas le neuf – distinction barthésienne (Roland Barthes par Roland Barthes, op. cit., p. 706)–, c’est l’actualisation, au degré d’intensité le plus élevé possible, de la réserve de désir prise dans la matérialité de l’écriture, quand elle est menacée par la sclérose ; il nous paraît donc compatible avec une attitude qui, dans les derniers cours, pourrait se présenter comme passéiste.
[36] Sur ce point, voir l’article déjà cité de Guillaume Bellon, « Le cours comme remake de l’œuvre : Barthes au Collège de France ».
[37] La Préparation du roman, op. cit., p. 52 et p. 317-318. Voir également « “Longtemps, je me suis couché de bonne heure” », op. cit., p. 470.
[38] Voir notamment la préface aux Essais critiques (1964), OC, II, p. 282.
[39] Voir Roland Barthes Continuités, op. cit., où selon l’expression de Jean-Pierre Bertrand dans sa présentation, il était question de « comprendre ce qui s’est glissé, à même le texte et l’écriture de Barthes, d’un moment à l’autre d’un parcours de pensée » (p. 15).
[40] Corps : « mot mana » ; voir Roland Barthes par Roland Barthes, op. cit., p. 704.
[41] Ibid., p. 712.
[42] Ibid., p. 652.
[43] Tiphaine Samoyault en relève une cinquantaine d’occurrences dans le corpus barthésien. Voir Roland Barthes, op. cit., p. 258-259.
[44] Le Plaisir du texte, OC, IV, p. 260.
[45] OC, V, p. 433.
[46] Voir « Roland Barthes contre les idées reçues », entretien avec Claude Jannoud, OC, IV, p. 569 : « […] j’aime et je commente les mêmes objets et les mêmes valeurs qui étaient présents dans Le Degré zéro de l’écriture : le langage, la littérature et cette notion même de “degré zéro” qui renvoie à l’utopie d’une levée des signes, d’une exemption du sens, d’une indivision du langage, d’une transparence des rapports sociaux. » Cité par Guillaume Bellon dans « Le cours comme remake de l’œuvre : Barthes au Collège de France », art. cit.
[47] Dans Roland Barthes par Roland Barthes, « L’exemption de sens », op. cit., p. 664.
[48] Le Neutre, op. cit., p. 33.
[49] Tiphaine Samoyault exhume une fiche datant de la rédaction de Roland Barthes par Roland Barthes : « Neutre. L’exemption du sens, ce thème si lointain et si persistant en moi (sans doute depuis l’enfance, où je revendiquais une sorte de droit au neutre), est-elle – névrotiquement – de même portée que le refus du conflit (le dire-non au conflit) ? » (op. cit., p. 582).
[50] Le Neutre, op. cit., p. 38.
[51] Ibid., p. 82.
[52] Ibid., p. 84.
[53] « “Longtemps, je me suis couché de bonne heure” », OC, V, p. 467. Barthes parle également d’« engouements conceptuels, empourprements successifs, manières périssables » (Roland Barthes par Roland Barthes, OC, IV, p. 686). Voir le même passage développé, dans La Préparation du roman, op. cit., p. 20-21.
[54] Voir Le lexique de l’auteur, Séminaire à l’École pratique des hautes études 1973-1974 suivi de Fragments inédits du Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, coll. « Traces écrites », avant-propos d’Éric Marty, présentation et édition d’Anne Herschberg Pierrot, p. 267-268.
[55] Voir la préface aux Essais critiques, où les « contenus » sont du côté des « variations », tandis que « l’obstination des formes » ressortit au « thème », « la grande fonction signifiante de l’imaginaire, c’est-à-dire l’intelligence même du monde » (OC, II, p. 274).
[56] Voir La Préparation du roman, op. cit., p. 349.
[57] Leçon, OC, V, p. 445.
[58] La Préparation du roman, op. cit., p. 543.
[59] Ibid., p. 22-23.
[60] Le Neutre, op. cit., p. 40
[61] Ibid., p. 40.
[62] La Préparation du roman, op. cit., p. 43.
[63] Ibid., p. 56
[64] Sur l’opposition entre Roman et Romanesque, voir notamment La Préparation du roman, op. cit., p. 267-270. Voir également Bernard Comment, Roland Barthes, vers le neutre (1991), Paris, Christian Bourgois, 2002, p. 206-218.
[65] Journal de deuil, op. cit., p. 141.
[66] La Préparation du roman, op. cit., p. 322.
[67] Ibid., p. 36.
[68] Voir Journal de deuil, p. 81-83, 156, 168. Le deuil est travail et dialectique, pas le chagrin. Sur ces points, voir Éric Marty, Roland Barthes, la littérature et le droit à la mort, Paris, Seuil, 2010, p. 54.
[69] Journal de deuil, op. cit., p. 60.
[70] Ibid.,p. 115.
[71] Sur ce sujet, on pourra notamment se reporter à la biographie de Tiphaine Samoyault déjà évoquée, en particulier aux pages 386-391, ainsi qu’à deux articles fort éclairants : Éric Marty, « Maurice Blanchot, Roland Barthes, une “ancienne conversation” », Les Temps Modernes, 2009/3 (n° 654), p. 74-89. URL : https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2009-3-page-74.ht ; Christophe Bident, « Les mouvements du neutre », Alea, Rio de Janeiro, v. 12, n. 1, p. 13-33, June 2010, texte qu’on trouve en ligne sur le site http://www.scielo.br/. Ces deux articles montrent, selon des perspectives différentes (les points de vue respectifs de Barthes et de Blanchot), la dialectique complexe de la relation de distance et proximité entre Barthes et Blanchot. Mais tandis que Bident conclut sur les convergences envisageables entre les deux Neutres, Marty insiste sur leur caractère en définitive presque exclusif l’un à l’autre.
[72] Le Livre à venir, op. cit., p. 282.
[73] Le Degré zéro de l’écriture (1953), OC, I, p. 216.
[74] Le Livre à venir, op. cit., p. 283.
[75] Philippe Roger considère à l’inverse que Barthes, dans Le Degré zéro, est « plus blanchotien que Blanchot lui-même » (Roland Barthes, roman, op. cit., p. 304).
[76] Ibid., p. 285.
[77] Voir Éric Hoppenot, « Écriture et Fatigue dans les œuvres de Roland Barthes et Maurice Blanchot », in Maurice Blanchot, de proche en proche, Daïana Manoury et Éric Hoppenot (dir.), Paris, Éditions Complicités, 2008.
[78] Mystique rhénane qui, de longue date, fut investie par Barthes (voir Philippe Roger, op. cit., p. 394 et « Une fidélité particulière à l’infini, Barthes et les mystiques », Barthes après Barthes, Publications de l’Université de Pau, 1993, p. 37-44).
[79] La Préparation du roman, op. cit., p. 111 et 153. Dans l’approche du Neutre blanchotien comme dans le satori barthésien, il y a une nécessaire destitution subjective. Du côté du rapprochement, relevons aussi que Barthes met en relation le manque d’inspiration qu’évoque Blanchot dans Le Livre à venir et la « Notation » qui fait l’objet de sa réflexion.
[80] Voir La Préparation du roman, op. cit., p. 547-548.
[81] « “Longtemps, je me suis couché de bonne heure” », op. cit., p. 460-461. Voir Gérard Genette, « Métonymie chez Proust », in Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 41-63.
[82] Les plans de la Vita nova reproduits en annexes du tome V des Œuvres complètesne permettent pas facilement de savoir si ce schème proustien était effectivement écarté par Barthes (la « Littérature » occupe, en effet, malgré tout, la place finale du feuillet daté du 22 août 1979). Pour un commentaire détaillé de ce notes, voir notamment l’article de Diana Knight, « Vaines pensées : la Vita Nova de Barthes », Université Charles-de-Gaule – Lille 3, Revue des Sciences Humaines, Sur Barthes, n° 268, 4/2002, p. 93-107.
[83] « “Longtemps, je me suis couché de bonne heure” », op. cit., p. 459.
[84] Ibid., p. 459.
[85] Voir La Préparation du roman, op. cit., p. 27.
[86] Sachant que Barthes s’est, de longue date, intéressé à la relation entre la révélation diégétique du narrateur à la faveur de la réminiscence et celle de Proust, au départ à travers l’hypothèse de la découverte du nom propre (voir « Proust et les noms » repris dans les Nouveaux essais critiques). Pour une éclairante étude de l’évolution du rapport de Barthes à Proust, voir l’article d’Antoine Compagnon, « Proust et moi », Autobiography, Historiography, Rhetoric. A Festschrift in Honor of F. P. Bowman, Amsterdam, Rodopi, 1994. Trad. italienne Roland Barthes : Teoria e Scrittura, éd. Mariella Di Maio, Napoli, Edizioni scientifiche italiane, 1992. On trouve l’article en ligne sur le site internet du Collège de France.
[87] Voir Le Plaisir du texte, OC, IV, p. 190-192.
[88] La Préparation du roman, op. cit., p. 35-36.
[89] Journal de deuil, op. cit., p. 222.
[90] La Préparation du roman, op. cit.,p. 27 ; voir également p. 290, où l’expression est soulignée dans une citation d’un passage célèbre des Confessions de Rousseau.
[91] La Préparation du roman, op. cit., p. 38.
[92] Ibid., p. 353. Ce qui est attendu, c’est la Nécessité, or cette nécessité ne peut se fonder que sur l’existence de l’œuvre, d’où « un mouvement mystique » d’autofondation.
[93] La Préparation du roman, op. cit., p. 104. Lettre de Marcel Proust à Daniel Halévy du 19 juillet 1919. Voir Marcel Proust, Choix de lettres, présentées et datées par Philip Kolb, préface de Jacques de Lacretelle, Paris, Plon, 1965, p. 216.
[94] Ibid., p. 124.
[95] Voir également les Fragments d’un discours amoureux, en particulier la fin : « Sobria ebrietas » (OC, V, p. 285).
[96] La Préparation du roman, op. cit., p. 154.
[97] Ibid., p. 181.
[98] Ibid., p. 230.
[99] La Préparation du roman, op. cit., p. 283-307. Le rapport de Tolstoï à Lao-Tseu vient alimenter cet enjeu, chez Barthes.
[100] Le Neutre, op. cit., p. 130.
[101] Sur ce point, voir Éric Marty, Roland Barthes le métier d’écrire, Paris Seuil, coll. « Fiction & Cie », notamment à partir de la page 323.
[102] Journal de deuil, op. cit., p. 127 ; Préparation du roman, op. cit., p. 32.
[103] La Préparation du roman, op. cit., p. 555.
[104] OC, V, p. 1009.
[105] Voir sur ce point l’article éclairant de Dominique Rabaté, « Roman, discours, note : le singulier pluriel chez Roland Barthes », in Marielle Macé et Alexandre Gefen, Barthes, au lieu du roman, Paris, Desjonquères / Nota bene, 2002, p. 213-214 (texte repris dans Le Chaudron fêlé, Écarts de la littérature, Paris, José Corti, coll. « Les essais », 2006, p. 199-221).
[106] Il nous semble que, selon le lieu où l’on situe, chez le dernier Barthes, la quête d’« exemption du sens », on accentue plus ou moins son blanchotisme. Pour Marie Gil, le projet de vita nova est révélateur du vide originaire. Voir Roland Barthes, op. cit., p. 461 : « Car la vocation de ce “roman”, sa révélation en fin de vie, sera d’exposer le Rien : le vide qui l’habite. » Lecture sensiblement différente, il nous semble, de celle que Philippe Roger avait proposée : « Aussi toutes les raisons successivement alléguées par Barthes pour déclarer le roman “infaisable” n’apparaissent que comme autant de manœuvres dilatoires, destinées à masquer l’inconciliable ambition d’un projet qui ne serait plus celui, blanchotien, d’une écriture “d’avant le sens”, mais celui apocalyptique, d’un dévoilement expressif qui ne saurait resurgir que dans un “après du sens”, au terme de la Quête qui en construirait les conditions d’exemption » (op. cit., p. 415). De manière plus générale, du fait de son caractère destinal, l’interprétation du dernier moment barthésien est révélatrice du rapport de l’exégète au parcours de Barthes en son ensemble.
[107] Voir Bernard Comment, op. cit., p. 214-215.
[108] La Préparation du roman, op. cit.,p. 229.
[109] Oxymore auquel invite l’étymologie de « patience », terme venant du latin patientia, « action de supporter, d’endurer », lui-même dérivé de pati, « éprouver, souffrir ». Voir la 9ème édition du Dictionnaire de l’académie française, sur le site http://www.cnrtl.fr/.
[110] Le Plaisir du texte, op. cit., p. 253.
[111] La Préparation du roman, op. cit., p. 28-29.
[112] Leçon, op. cit., p. 437.