Pour cette étude qui ne peut viser l’exhaustivité de l’énorme corpus barthésien consacré à la photographie, j’ai choisi comme de me centrer sur deux livres et un article, chronologiquement : L’Empire des signes (1970), « Le troisième sens. Notes de recherche sur quelques photogrammes d’Eisenstein », publié dans les Cahiers du cinéma, n° 222, en octobre 1970, et bien sûr La Chambre claire (1980) – sans me garder bien sûr d’évoquer quelques-uns des multiples textes de Barthes sur la photographie. Ce qui m’a frappé dans ce corpus, c’est la récurrence et l’animation de trois figures : les jeunes hommes, les femmes d’un certain âge (les mères) et les androgynes. Trois figures topiques de la culture homosexuelle qui ne cessent de se raccorder entre elles, de se répondre, de se fondre aussi.
Sur le plan de la découverte de la photographie d’art, on constate déjà un tropisme « homosocial » : Tiphaine Samoyault raconte que Barthes fût initié à la photographie d’art par son amant François Braunschweig (rencontré en 1963), qui ouvrit avec Hugues Autexier la galerie TexBraun dans les années 1970[1], exposant notamment le baron Wilhelm Von Gloeden, auquel Barthes consacrera un texte en 1979[2]. Au sein de L’Empire des signes, deux images sont aussi issues de la collection du galeriste Daniel Cordier (selon les crédits de l’ouvrage)[3], dont on apprendra plus tardivement l’homosexualité lors de la parution de son autobiographie Alias Caracala en 2009. Les images élues par Barthes répondent quant à elles, comme l’écrit Daniel Grojnowski à un « éclectisme que hante régulièrement la nudité des corps d’hommes jeunes », avec une prédilection pour des « personnes situées d’une manière ou d’une autre en marge : condamné à mort, homosexuel, “débiles”, violoniste vagabond, autant d’individus tantôt isolés, tantôt inscrits dans le groupe réduit d’une famille ou d’une petite communauté[4]. » Grojnowski remarque aussi que le « nu féminin, véritable poncif de la photographie “artistique”, est exclu[5] » du corpus barthésien, tout autant d’ailleurs que les jeunes filles et jeunes femmes vêtues.
Double-fonds
L’Empire des signes, que Barthes termine d’écrire en novembre 1968, sort en 1970, après que ce dernier ait passé une année à faire des recherches iconographiques[6]. Les illustrations de l’ouvrage (commandé par l’éditeur Skira comme un album) déploie photographies, documents, plans dessinés et même un petit lexique écrit à la main, dont une bonne part inscrit un désir équivoque. « Le texte ne “commente” pas les images. Les images n’“illustrent” pas le texte : chacune a été seulement pour moi le départ d’une sorte de vacillement visuel[7] », écrit Barthes en exergue de son livre, dans un aveu de fascination qui annonce ses textes ultérieurs sur la photo. D. A. Miller, dans son ouvrage Bringing out Roland Barthes, avait reconnu dans le plan de Shinjuku Ni-chome de Tokyo[8] des lieux recommandés par le guide touristique gay Spartacus[9] (dont la première édition, institutionnalisation parmi d’autres de la vie gay, est contemporaine de la parution du livre de Barthes, mais pas de son écriture). On voit notamment dans les plans (donnés par Maurice Pinguet[10]) le club Pinocchio, lieu de rencontres homosexuelles, assorti d’un petit lexique de la rencontre, ce qui fait permet à Magali Nachtergael d’écrire que L’Empire des sens « apparaît, non pas comme un livre sur le Japon mais un journal de rencontres où les rendez-vous donnés et pris cachent à peine le commerce sexuel qui se joue[11]. » À propos des photographies, celle-ci parle de « double langage » où une « véritable érotique de photographie [se] déploie, avec une multitude de portraits d’acteurs au genre éthéré : Kazuo Funaki dont la bouche s’ouvre sensuellement, Nakamura Ganjiro, acteur de bunraku jouant une femme, les [deux chanteurs du boy’s band] Tigers entourés de fleurs[12] ».
J’ajouterais à ces images le jeune homme un peu décadré à la peau moite, qui plonge la main dans une vapeur désirante qui évoque le hammam et les sumos pensifs exposant leur torse glabre[13]. Ainsi que ce que Barthes appelle, avec sa « perversion fine » (pour reprendre une expression de Mathieu Messager[14]), les « mangeoires-latrines » du pachinko[15] – à cause des formes des machines à billes et de la position des hommes qui y jouent. Si Barthes dit ne trouver aucune métaphorisation de la sexualité chez les japonais (chez eux, la sexualité ne serait nulle part ailleurs que dans la sexualité), précisant « dans le Pachinko, nul sexe[16] », on peut néanmoins songer à la « machine » sadique, et la légende accolée par Barthes m’évoque aussi une pratique homosexuelle peu ragoûtante des « tasses » (terme d’argot homosexuel désignant les toilettes publiques servant de lieu de rencontre) : ces individus urophiles qu’on appelait les « soupeurs », qui déposaient le matin un petit morceau de pain dans les latrines, le récupérant imbibés en fin de journée[17]. Cette manière d’induire une frappe obscène implicite, peut-être un sous-entendus pour initiés, témoigne en tout cas de ce déroutant humour barthésien qu’Éric Marty a bien identifié dans son Roland Barthes, le métier d’écrire, lorsqu’il note au sein des Fragments d’un discours amoureux certains raccords hardis entre des considérations sur l’Amoureux et des références à Sade[18] : tel le ridicule de l’amoureux qui pense au suicide parce qu’un coup de téléphone n’arrive pas et qui est comparé dans une frappe finale du passage, au « pape sodomisant un dindon[19] ».
De L’Empire des signes, T. Samoyault remarque que toutes les photos de jeunes hommes proviennent de la propre collection de Barthes (« document de l’auteur » dans les crédits), les autres photographies étant tirées de la presse ou de livres[20], tandis que M. Nachtergael note qu’une part des images de jeunes hommes (les deux chanteurs et l’acteur Funaki), appelées au Japon bromide, sont des vignettes collectionnables pour fans. Après sa collecte, Barthes les colle donc dans son livre comme un(e) adolescent(e). Il expose ainsi ses élections comme la lettre volée d’Edgar Poe, ne se laissant saisir que par ceux (ou celles) qui peuvent aussi y reconnaître quelque chose de leur propre désir. Barthes évoque dans une fiche reproduite dans son Roland Barthes par Roland Barthes la déesse Homosexualité comme « une cristallisatrice, une médiatrice, figure de l’intercession[21] » notant l’ouverture indéniable de « tout ce qu’elle permet de dire, de faire, de comprendre, de savoir etc. ». Écho à une fiche du fond Barthes, datée du 5 juin 1978[22], qui notait : « le monde homosexuel n’est pas tellement intéressant. C’est le monde à partir d’un homosexuel qui est intéressant. »
Barthes, avec son double langage visuel apparait aussi dans son livre comme un agent double, grimé en japonais comme dans les films d’espionnage[23], récoltant indices et empreintes. Un seul commentaire un peu orienté sur ces photos, hors des « latrines-mangeoires » : l’adjectif « charmants » qui qualifie les deux Tigers de « papier » (« tigres de carte postale, de calendrier et de juke-box[24] », énumère Barthes). Mais, comme le disait Deleuze dans Proust et les signes : « Les personnages de Sodome, les personnages de Gomorrhe compensent par l’intensité du signe le secret auquel ils sont tenus[25] » : Barthes engage la puissance propre d’évocation des images plus que leur description. En ce sens, la plus forte impression est donnée par les deux photos de Kazuo Funaki qui enserrent le livre[26] : sobre, puis avec un demi-sourire de Joconde – ce que souligne la légende « au sourire près ». Barthes, qui enserre son livre entre ces deux images, le transforme aussi en flip-book que l’on peut animer : le garçon sur la photo semble nous sourire, comme une invite timide. Le sourire « près », près du lecteur, s’apparente à une drague légère, un signe à décoder. « Telle photo », écrira Barthes dans La Chambre claire « tout un coup m’arrive, elle m’anime et je l’anime. C’est ainsi que je dois nommer l’attrait qui la fait exister […][27] ».
Yue Zhuo[28] évoque ici l’article « Masculin, féminin, neutre », où « l’animé » vient conjoindre masculin et féminin. Le sourire, dans les notes pour le Séminaire du Collège de France sur le Neutre, est assimilé par Barthes au « geste du neutre[29] ». Il est « extase, énigme, rayonnement doux », s’oppose au « conflit, au sens arrogant » et surtout déjoue le paradigme génital. Le visage glabre du jeune acteur, avec ses pommettes hautes, la forme géométrique de sa mâchoire et de sa coiffe, évoque un peu celui d’une star féminine, par exemple une photo de Marlène Dietrich prise par le Studio Harcourt. Le cadrage en gros plan sépare le visage du corps, le renvoie à une identité plus floue, ce que Barthes notait déjà dans ses Mythologies à propos du visage blanc de Garbo, cette icône gay travestie de La Reine Christine (1933) de Ruben Mamoulian, dont le visage était qualifié de « désexué[30] » ; autre référence aux photos Harcourt, où les actrices, écrivait-il, « réduites à un visage, à des épaules, à des cheveux […] témoignent ainsi de la vertueuse irréalité de leur sexe[31] ». Le regard des sujets photographiés, droit dans les yeux du contemplateur, se retrouve à d’autres endroits de L’Empire des sens, par exemple ce très gros plan sur des yeux « désexués » eux aussi[32], avec une fente au milieu du papier, qui dessine comme un troisième œil, un fascinum lacanien, manière d’hypnotiser le contemplateur (pour hypnotiser une poule, il suffirait de la forcer à fixer suffisamment longtemps une ligne tracée sur le sol). On retrouve la même fente dividuelle, ouvrant vers une autre identité, dans une photographie du visage gigogne de Bouddha[33] et la carte postale abîmée d’une jeune femme face à un écritoire, comme rayée par sa marque de pliure centrale[34].
Barthes cerne une figure de l’androgyne, identifiable dans la photo de l’acteur de bunraku, ne « copie pas la femme, mais la signifie[35] », ne « s’empoisse pas dans son modèle, se détache de son signifié » (je souligne). Scission et écart, invention d’une distance plutôt qu’une addition génitale. Dans le livre, l’écart est matérialisé deux fois : presque invisible sur l’image de gauche, l’acteur travesti tient dans ses mains une marionnette dont on aperçoit à peine le visage, qui fonctionne comme une identité abolie, une défroque amorphe, et nous « débarrasse[36] » de l’acteur lui-même. Barthes parle à propos des marionnettes occidentales de « chiffon[37] », de « pansement génital », de « “petite chose” phallique tombée du corps pour devenir fétiche », que l’on peut relier à l’automate du Casanova (1976) de Federico Fellini évoqué dans la Chambre claire[38], dont j’aurais tendance à voir l’annonce également dans la carte postale abîmée (déjà évoquée) de la jeune femme face à son écritoire, qui ressemble à une figure de cire[39]. En regard de l’acteur de bunraku travesti, sur la page de droite, on retrouve sa photographie « au naturel », étoilée, à l’instar d’un jeu de carte tenu à la main, par deux photos de ses jeunes fils, les trois hommes regardant fixement le lecteur. La fonction reproductrice paternelle, d’où dérive à gauche et à droite les deux fils, répond à l’absence de la mère. Les publications de L’Empire des signes et de S/Z sont contemporaines, et font tous deux surgir cette figure de l’androgyne. À son propos, comme l’écrira Barthes plus tard dans ses notes pour les cours sur le Neutre : « Il faudrait peut-être en venir à ceci (je crois mal exploré) : ne pas confondre forcément la mère et la femme. Auquel cas, l’androgyne serait le sujet en qui il y a du maternel[40] » ? En observant les deux fils de l’acteur de bunraku disposés ainsi près de lui, le lecteur occidental s’interroge forcément : comment voient-ils leur père ?
Autre travesti dans L’Empire des signes, moins évident mais néanmoins présent : Barthes lui-même, « japonisé » (et que j’ai évoqué plus haut comme agent double)[41]. En miroir, sur la même page, un “Anthony Perkins” japonais. Outre que Perkins était bisexuel (on parle de liaisons avec Rock Hudson ou Rudolf Noureev), on ne peut pas oublier son rôle célèbre de Psychose d’Alfred Hitchcock, en tant qu’impersonator et animateur meurtrier, schizophrène, de sa mère décédée, insistant à l’état de momie (dans le motel Bates) et de fantôme (en surimpression sur son visage dans le dernier plan du film). Drôles de liens donc, entre la mère et l’androgyne, le fils homosexuel et sa mère.
Le travesti japonais « touche à une certain façon de prendre la mort[42] » écrit Barthes dans le fragment « Le visage ». Le paragraphe suivant du texte conduit ex abrupto sur le général Nogi et sa femme[43] avec une adresse directe au lecteur : « regardez cette photographie du 13 septembre 1912[44] ». Ces images prises la veille de leur suicide semble alors préfigurer, à travers la double légende, le grand thème de la mort de La Chambre Claire, notamment la photographie du condamné à mort Lewis Payne[45], dont on devine aussi la séduction qu’il pouvait produire sur Barthes. Si le général Nogi, commente Barthes, « perdu dans sa barbe, […] n’a presque pas de visage[46] », sa femme « garde son visage entier » dans une impassibilité qui égale celle du travesti. Comme ce dernier abolissait la Femme dans le signifiant, la femme du général Nogi « a décidé que la Mort était le sens, que l’une et l’autre se congédiaient en même temps, fût-ce par le visage, il ne fallait pas “en parler”. » Cette liaison entre travesti, poupée, femme et mort, semble traversée encore une fois souterrainement par la figure de la mère.
« Camper » Eisenstein
La figure du travesti est également bien présente dans l’article « Le troisième sens »[47], à propos de photogrammes de films de Sergueï Eisenstein, cinéaste à l’homosexualité manifeste dans ses dessins érotiques (même si sujette à caution par les historiens), restée discrète sous le pouvoir soviétique. L’article de Barthes est considéré à juste titre comme un précurseur théorique de La Chambre claire, où sa notion de « troisième sens » s’apparente à une théorisation princeps du punctum.
Le corpus des photographies, Barthes l’indique, est puisé dans les n° 217 (novembre 1969) et n° 218 (mars 1970) des Cahiers du cinéma[48], dans la série de nombreux numéros de la revue consacré à l’étude d’Eisenstein et la publication de ses écrits, illustrés de photogrammes[49]. Le texte de Barthes est publié peu de temps après, dans le n° 222 (juillet 1970). Barthes pioche, élude aussi bien un visage de jeune fille qu’une image plus homoérotique (la seule identifiable comme telle dans l’ensemble des Cahiers) exposant un soldat tué, à demi-nu, dans une pose de Saint-Sébastien[50], posture très caractéristique du cinéma d’Eisenstein (voir dans Que Viva Mexico !, 1979, la séquence du supplice des jeunes péons, le bas du corps plongé dans la terre, sur lequel fonce un groupe de cavaliers).
De fait, le texte de Barthes est une provocation plurivoque à l’égard de la revue : il déjoue la théorie sémiologique qui y règne, et dont Barthes est la référence majeure ; il affirme l’importance du photogramme arrêté contre le film en mouvement dans une revue de cinéma ; il écrit que le métalangage « stériliserait[51] » le troisième sens, et place donc sa notion en contradiction avec la « critique » de cinéma ; il promeut le désir, forclos dans une revue (sauf à travers l’usage filtré, refroidi, de la psychanalyse) à cette époque obnubilée par le théoricisme politique d’extrême-gauche ; et enfin, fait émerger discrètement un désir « homosexuel » au sein d’une confrérie masculine de rédacteurs cinéphiles hétérosexuels (excepté Serge Daney, mais qui ne l’a pas revendiqué publiquement avant la fin de sa vie).
Le texte s’ouvre sur un commentaire de l’image de la pluie d’or sur le jeune tsar de Ivan le Terrible (1944). Après avoir décrit le niveau informatif (1er sens), et le niveau connotatif (2e sens), Barthes poursuit : « Est-ce tout ? Non, car je ne peux encore me détacher de l’image[52] », avoue-t-il, ouvrant alors sur un « troisième sens », qu’il ne peut « nommer ». Cela vient des visages des courtisans qui entourent le prince, quelque chose « excède le sens, l’anecdote », « vient devant moi ». Comparant deux photogrammes d’une vieille femme[53] (aux sourdes résonnance de Mère courage), il écrit : « La conviction du sens obtus, je l’ai eu la première fois devant [cette image][54] », devant laquelle il sent un « trait pénétrant, inquiétant, comme un invité qui s’obstine à rester sans rien dire là où on a plus besoin de lui ». Invité importun qui insiste au détriment des convenances bourgeoises : un dragueur – ou un gigolo ?
Comparant cette image à celle du bas où il n’aperçoit que du sens obvie, Barthes lui trouve les caractères d’un travesti « stérilisant » le métalangage. Le sens obtus tient, écrit-il, à un « rapport ténu entre la coiffe basse, les yeux fermés et la bouche convexe ». La ligne coiffante, est « anormalement tirée jusqu’aux sourcils comme dans ces déguisements où l’on veut se donner un air loustic et niais ». Ce mot de « loustic », qui qualifierait plutôt un adolescent rigolard et séduisant, se retrouve également dans L’Empire du signe pour évoquer les « travestis » occidentaux, que Barthes confond volontairement avec les transexuels (même si à l’époque, la distinction n’est pas aussi nette qu’aujourd’hui) : le « dessous[55] » (le corps masculin), dit-il, peut-être « subrepticement signé (par un clin d’œil loustic à la virilité du support, comme il arrive aux travestis occidentaux, blondes opulentes dont la main triviale ou le grand pied viennent infailliblement démentir la poitrine hormonale) ». Le « clin d’œil loustic », révélateur plus ou moins conscient d’un « support viril », produit en ce sens un effet de comique involontaire appelé donc « troisième sens ». Devant la barbiche stylisée d’Ivan[56], Barthes résume que le « sens obtus a donc quelque peu à faire avec le déguisement[57] ». Il y aurait beaucoup à dire sur le rapport entre homosexualité, désir et habillement chez Barthes[58]. Dans le cas d’Ivan, la « coiffe loustic », la barbiche, un chignon avec « une masse excessive de cheveux » produisent « un feuilleté de sens qui laisse toujours subsister le sens précédent ». On est bien dans la même logique que celle du travesti japonais, qui signifie la femme sous la forme d’un pur signifiant sans signifié : le sens obtus, résume Barthes, « dit le contraire sans renoncer à la chose contredite ». D’ailleurs, l’effet de la vieille femme à la coiffe est décrite sous la forme d’un haïku composé pour l’occasion « Bouche tirée, yeux fermés qui louchent, / Coiffe bas sur le front, / Elle pleure[59]. » Barthes continue son texte sur un photogramme tiré du documentaire Le Fascisme ordinaire (film soviétique de Mikael Romm, 1965[60]) reproduisant un film d’actualité nazi, où il observe :
la niaiserie blonde, déguisée (encore) du jeune porte-flèches, la mollesse de ses mains et de sa bouche (je ne décris pas, je n’y parviens pas, je désigne seulement un lieu), les gros ongles de Goering, sa bague de pacotille (celle-là déjà à la limite du sens obvie, comme la platitude mieilleuse du sourire imbécile de l’homme à lunettes, dans le fond : visiblement, un “lécheur”)[61].
Ces descriptions très amusées insistent sur le kitsch (la bague), des éléments bas (les ongles, souvenir du « Gros orteil » de Bataille ?), avec peut-être le souvenir de la mollesse féminine qu’un XIXème siècle associait souvent à l’inverti. Le passage s’achève sur sous-entendu scabreux, encore une frappe sadienne : le « lécheur ». Le passage est un bon exemple, chez Barthes, d’un humour particulièrement « camp ». Ce terme exploré (plus que théorisé) par Susan Sontag en 1964 dans son célèbre texte « Le style “Camp” »[62], a été « continué » par ce proche de Barthes qu’est Patrick Mauriès, qui travestit et « campat » avec humour le texte de Sontag dans son Second manifeste camp[63] (au grand dam de celle-ci). Barthes, à qui il aurait envoyé ce texte pour avoir son avis, l’aurait donné sans lui dire au Seuil, qui le publie en 1979 dans la collection « Fiction et Cie ». Le camp selon Mauriès se rapproche beaucoup du troisième sens barthésien : il est une opération de « transduction, copie, restitution déformée[64] », le camp se caractérise par une « valeur exagérée des détails sur le tout (pour signifier le vrai)[65] » où « c’est le déplacement du lieu, le dérapement final qui emporte l’adhésion ». De l’androgyne, Mauriès écrit « qu’il n’est pas, ou n’est plus [en 1979], […] un mot camp[66] » Il lui préfère « ambigu », « son allure asexuée et réservée, ses côtés fanés – ou prétendu tels ». Le camp est en fait une opération de travestissement généralisée, sur le modèle du travesti japonais, car, comme l’écrit Mauriès le camp, voit tout « entre guillemets[67] » : « Pas une femme, une “femme” » – comprendre : faire de la femme un texte. Enfin, écrit Mauriès, le camp ne saurait se concevoir sans le culte de « l’intensité, […] ou mieux d’un certain ton[68] », précisant : « le critère du camp, s’il existe, ce n’est pas l’ineffable, mais la jubilation » – ce qu’on peut mettre en rapport avec la jubilation barthésienne devant la photo, le « c’est ça ! ».
L’humour de Barthes est bien visible dans ses récits « louches » et déroutants pistant le troisième sens, qui mettent au jour des « gaffes » de Eisenstein sur le mode burlesque (comme lorsqu’une vieille femme révoltée devient un travesti), un retour du refoulé des clichés politiques de son film, métamorphosés en acting out camp. Comme cinéaste, Eisenstein est réputé pour sa volonté démiurgique de maîtrise absolue de la représentation, ses images sont dessinées, composées et montées à l’avance, sous la forme d’un langage méthodiquement conçu pour sa force d’impact sur le spectateur (l’émotionnel engageant l’idéologique). Dans ce cadre, l’intrusion du troisième sens par Barthes fait office de lapsus dans ces œuvres maîtrisées. Il peut être ôté, passer inaperçu, remarque Barthes, néanmoins « la communication et la signification restent, circulent, passent ». Barthes conclut que le troisième sens « n’appartient pas encore à la politique d’aujourd’hui, mais déjà à la politique de demain[69] ».
Le désir et la mort
Cette question du temps « à venir » qui surgit à la fin du texte est importante : le sens obtus, comme le décrit Barthes, produit un « contre récit », un autre découpage dans le film, « inouï , contre-logique et cependant vrai », le photogramme « se moquant du temps logique[70] ». En commentant trois photographies accolées en une par Richard Avedon des membres de Factory d’Andy Warhol[71], Barthes inscrit dans son article « Tels »[72], trois ans avant la Chambre claire, un lourd infléchissement de la photo vers la mort (à l’instar de celles du général Nogi et sa femme dans L’Empire des signes). Cette photographie fait poser des membres de la Factory, certains habillés, certains nus. « Personne n’est laid, personne n’est beau[73] » écrit Barthes, infléchissant immédiatement cette maxime dans une parenthèse en remarquant « par une exception qui signe le reste du projet » les « deux garçon nus ». Lesquels ? peut-on se demander devant l’image où il y a cinq nus, dont une femme transgenre, l’androgyne Candy Darling (d’ailleurs modèle de Mauriès pour son Second manifeste camp, également objet d’un projet jamais réalisé). Barthes ne remarque pas non plus dans son texte le dédoublement de Gérard Malanga (entre les bords des photos centrale et droite), de Joe Dallessandro nu et habillé et de Paul Morrissey (sur le bord gauche et caché derrière le groupe de l’image de droite), qui troublent ces images en panoramique, les inscrivant dans des temps différents, collés les uns dans les autres. L’image recomposée érotise aussi les bords du cadre, frôlés par Morrissey et Warhol, troublant sur un fond blanc indifférencié toute inscription vraie – elle propose un espace-temps travesti. Les sujets photographiés par Avedon, dit Barthes, sont « à la fois mort et vivant[74] », « des cadavres, mais ces cadavres ont des yeux vivants, qui vous regardent, et qui pensent ». En postulant la communication avec les modèles, Barthes en fait de nouveaux travestis, non plus entre homme et femme, mais sous le plan du temps, entre « Éros, un engagement, soit séducteur, soit répulsif à l’affectif, ensuite, la mort, la vocation au cadavre ».
La Chambre Claire, trois ans plus tard, reprendra ce double postulat du corps vivant et cadavre, objet d’une division en Janus Bifron. D’un côté, le désir au présent devant la photo, et même poussé en avant vers une sorte d’utopie qui serait une vita nova, un avenir heureux (« Bob Wilson, doué d’un punctum irrepérable, j’ai envie de le rencontrer », écrit Barthes devant sa photographie[75]) – possibilité d’animer la photographie, de lui faire prendre vie, de jouir (encore une fois) d’une rencontre fantasmatique. Un fragment inédit du Roland Barthes par Roland Barthes relate : « Draguer, ce n’est pas chercher (en vue d’une acquisition, d’une possession ultérieure), c’est recommencer la “première fois” : je m’approprie non un objet ou un corps, mais un temps[76]. » Dans La Chambre claire, un jeune homme photographié par Robert Mapplethorpe[77], dans un beau geste érotique, ouvre le bras vers la droite, et semble étirer le temps du désir vers le futur d’un « en avant toute ». C’est, dit Barthes, « le bon moment, le kaïros du désir[78] », qui conclut sur le fait que ce cheminement « lui a appris comment marchait [son] désir ». Rien de moins qu’une cure analytique réussie !
Lorsque se clos ainsi la première pellicule de 24 poses de La Chambre claire démarre le second livre, où résonne le deuil de la mère. Devant la photographie de Lewis Payne[79], le ton change véritablement : « La photo est belle, le garçon aussi : c’est le studium. Mais le punctum, c’est : il va mourir ». Le temps devient celui de l’anamnèse, dont la définition médicale est éloquente : les antécédents du malade. Il s’agit de retrouver la mère en-deça de la mort, dans un passé antérieur à la propre mémoire de Barthes, dans un souvenir non vécu qui sera fabriqué par la photo même. Voyant sa mère « en grande toilette de ville , toque, plume, gants, linge délicat surgissant aux poignets et à l’encolure[80] », Barthes constate mortifié que « le vêtement est périssable, il fait à l’être aimé un second tombeau » : il la travesti, mais en cadavre. Alors Barthes commence par séparer les attributs, cherche sa mère à travers les objets réels (devenus partiels) qu’elle lui a laissé : sac à main ou panneaux de raphia près du lit. Très vite, fouillant les photos, Barthes la retrouve (fragment 28) à cinq ans avec son frère dans la photo jamais montrée du Jardin d’hiver. Cette enfance originaire est comme un retour, encore une fois, de l’androgyne : dans ce moment du corps antérieur à la naissance de Barthes et plus généralement à toute sexuation, l’enfant devient une des multiples figures de l’androgyne.
Cette figure de l’androgyne est développée dans la seconde partie du livre avec l’automate du Casanova de Federico Fellini[81], au mouvement syncopé. Barthes, qui voit le film « après avoir regardé des photos de ma mère », y retrouve quelque chose de sa silhouette. Mais il ne décrit pas la fin de la scène (particulièrement obscène, où l’on voit le sexe béant de la poupée, les jambes écartées), ni la fin du film, lorsque Casanova à l’orée de la mort rêve et que la poupée, devenue fantôme, revient le tenir dans ses bras et former avec lui, également raide, une sorte de petit carrousel[82]. Ici, l’automate-travesti aussi échappe au temps, mais cette fois, en tant qu’objet pouvant être animé à loisir par l’imaginaire.
Le Spectator face à la photographie, remarque Barthes à la fin de son livre, a le choix entre deux positions : « folle ou sage[83] ». « Folle », terme du lexique homosexuel où l’on s’invoque facilement au féminin[84], Barthes l’arrime à cette sorte d’invagination : un « réalisme [qui] est absolu, faisant revenir à la conscience la lettre même du Temps : mouvement proprement révulsif, qui retourne le cours de la chose, et que j’appellerai pour finir l’extase photographique ».
Je terminerai cette étude en zigzag sur la manière dont Barthes parle du rapport à ses propres photographies, à la difficulté d’être photographié (et ce serait, aussi, la photographie d’un homosexuel). Avec des craintes peut-être sur la manière dont l’appareil pourrait saisir un geste « folle », une inflexion révélatrice ou ridicule, un troisième sens que Barthes traque à loisir dans les photos des autres sans vouloir en être l’objet, du moins sous forme de trace photographique (son indifférence à la bienséance sociale a été évoquée par Éric Marty). Le rapport de Barthes à la photographie doit se comprendre aussi comme Spectator, c’est comme exclu de l’image. « L’image, c’est ce dont je suis exclu[85] », disait-il dans les Fragments d’un discours amoureux, expression qu’il faut entendre positivement, plus que comme un regret. Désir d’être dans l’image, avec ceux que l’on aime, mais désir aussi de ne pas s’y laisser engluer. Un lieu concret éclaire dans la vie réelle de Barthes cette position ambivalente : c’est la Boîte, la boîte de nuit, plus précisément l’établissement Le Palace, grand espace de l’homosocialité ouvert en 1978 par Fabrice Emaer[86]. Hétérotopie reposante pour Barthes, espace à la fois ouvert et fermé, qui est aussi pour lui une véritable boîte à images, le plus apaisé, finalement, des support à l’écriture. Comme il le décrit Roland Barthes par Roland Barthes, autour d’une boîte de Tanger, un lieu qui
peut alors devenir le lieu de travail de mes phrases : je ne rêve pas, je phrase : c’est le corps regardé, et non plus le corps écouté, qui prend une fonction phatique (de contact), maintenant, entre la production de mon langage et le désir flottant dont cette production se nourrit, un rapport d’éveil, non de message. La boîte est en somme comme un lieu neutre […][87].
Notes
- Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, Paris, Seuil, coll. « Point essai », 2015, p. 408. ↑
- OC V [« Wilhelm von Gloeden », 1979], p. 682-683. ↑
- Ibid., p. 507. ↑
- Daniel Grojnowski, « Roland Barthes et la photographie, un corpus erratique », in Roland Barthes : continuités, Actes du colloque de Cerisy, 12‑19 juillet 2016, Paris, Christian Bourgois, 2017, p. 353. ↑
- Ibid., p. 352. ↑
- Selon Samoyault (op. cit., p. 495-496, note n° 3), Barthes recueille des notes pendant trois voyages au Japon entre 1966 et 1968, termine le texte de L’Empire des signes le 16 novembre 1968, et passe ensuite une bonne partie de l’année 1969 à ses recherches iconographiques. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 349. ↑
- Ibid., p. 377-378. ↑
- D. A. Miller, Bringing out Roland Barthes, Berkeley (États-Unis), California Press, 1992, p. 4-5. ↑
- Selon Samoyault (op. cit., p. 506-507) qui évoque également les rencontres et la vie homosexuelle de Barthes lors de ses voyages au Japon. ↑
- Magali Nachtergael, « Barthes à l’aune des Queer & Visual Studies », in Roland Barthes, continuités, op. cit., p. 426. ↑
- Ibid., p. 427. Les images sont reproduites dans OC III [L’Empire des signes, 1970], respectivement p. 350 et 438 ; p. 392 ; p. 436. ↑
- Ibid., p. 379-380. ↑
- Voir l’article de Mathieu Messager, intitulé « Il n’y a pas de question homosexuelle » et publié en ouverture de ce volume ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 373. ↑
- Ibid., p. 372. ↑
- L’historien des toilettes, Roger-Henri Guerrand, les évoque dans Les Lieux. Histoire des commodités, Paris, La Découverte, coll. « Poche Essai », 1997, p. 171. ↑
- Éric Marty, Roland Barthes, le métier d’écrire, Paris, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2006, p. 296. ↑
- OC V [Fragments d’un discours amoureux, 1977], p. 220. ↑
- Tiphaine Samoyault, op. cit., p. 508. ↑
- OC IV [Roland Barthes par Roland Barthes, 1975], p. 654. ↑
- Voir l’épigraphe de l’article de Mathieu Messager, publié dans ces mêmes actes. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 420. ↑
- Ibid., p. 426. ↑
- Gilles Deleuze, Proust et les signes, Paris, Presses universitaires de France, 1983, coll. « Perspectives critiques », p. 18. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 350 et 438. ↑
- OC V [La Chambre Claire, 1980], p. 804. ↑
- [Ici renvoi à l’article de Yue Zhuo] ↑
- Roland Barthes, Le Neutre. Cours au Collège de France (1977-1978) (Thomas Clerc, dir.), Paris, Seuil/IMEC, coll. « Traces écrites », 2002, p. 244. ↑
- OC I [Mythologies, 1957], p. 724. ↑
- Ibid., p. 689. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 435. ↑
- Ibid., p. 417. ↑
- Ibid., p. 388. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 393. ↑
- Ibid., p. 396. ↑
- Ibid., p. 397. ↑
- OC V [La Chambre Claire, 1980], p. 882 ; voir aussi mon commentaire sur ce film à la fin de cette étude. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 417. ↑
- Roland Barthes, Le Neutre. Cours au Collège de France (1977-1978), op. cit., p. 243. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 420. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 421. ↑
- Ibid., p. 422-423. ↑
- Ibid., p. 421. ↑
- OC V [La Chambre Claire, 1980], p. 866. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 421. ↑
- OC III [« Le troisième sens. Notes de recherche sur quelques photogrammes de S. M. Eisenstein », 1970], p. 485-506. L’article est publié dans le n° 222 des Cahiers du cinéma, juillet 1970. ↑
- Les sections consacrées à Eisenstein se trouvent p. 14-23 dans le n° 217, et p. 6-23 dans le n° 218. En outre, une photographie de Herman Goering, photogramme d’un film d’archive monté dans le film soviétique de Mikhaïl Romm, Le Fascisme ordinaire (1965) se trouve dans le n° 219 (avril 1970), p. 26. ↑
- Les Cahiers du cinéma ont consacré une bonne part de leurs numéros à Eisenstein, référence majeure (avec Dziga Vertov) de la période : quasiment tous les numéros du n° 209 (février 1969) au n° 234/235 (décembre 1971, janvier-février 1972) contiennent des textes de Eisenstein et/ou des études sur le cinéaste. ↑
- Cahiers du cinéma, n° 218, mars 1970, p 19. ↑
- OC III [« Le troisième sens… », 1970], p. 500. ↑
- Ibid., p. 487. ↑
- Ibid., p. 491. ↑
- Ibid., p. 492. ↑
- OC III [L’Empire des signes, 1970], p. 419. ↑
- OC III [« Le troisième sens… », 1970], p. 494, image VII. ↑
- Ibid., p. 493. ↑
- Je pense à une fiche reproduite dans L’Album Barthes (Éric Marty, dir.), Paris, Seuil, 2015, p. XLIX, où il détaille ses amis qu’il trouve bien ou mal habillé en rapport à son désir. Voir aussi Thomas Clerc, « Collection Roland Barthes » in R/B Roland Barthes (Marianne Alphant et Nathalie Léger, dir.), Paris, Seuil/IMEC/Centre Pompidou, 2002. ↑
- OC III [« Le troisième sens… », 1970], p. 501. Barthes développera plus tard le lien entre photographie et haïku dans La Préparation du roman I et II. Cours et séminaires au Collèges de France (1978-1979 et 1979-1980) (Nathalie Léger, éd.), Paris, Seuil/IMEC, coll. « Traces écrites », 2003, p. 115-118. ↑
- OC III [« Le troisième sens… », 1970], p. 499. ↑
- Ibid., p. 498, 500. ↑
- Susan Sontag, « Le style “Camp” » (1964) in L’Œuvre parle, Paris, Christian Bourgois, coll. « Titres », 2010, p. 421-450. ↑
- Patrick Mauriès, Second manifeste camp [1979], Paris, l’éditeur singulier, 2012. Mauriès, qui semble republier son texte dans sa seconde édition un peu à contre-cœur, le qualifie de « private joke », mais « une plaisanterie – qu’il faut, bien sûr, prendre au sérieux » (p. 9). ↑
- Ibid., p. 21. ↑
- Ibid., p. 51 ↑
- Ibid., p. 28. ↑
- Ibid., p. 39. ↑
- Ibid., p. 94. ↑
- OC III [« Le troisième sens… », 1970], p. 501. ↑
- Ibid., p. 505. ↑
- Richard Avedon, Andy Warhol and Members of the Factory, 30 octobre 1969. ↑
- OC V [« Tels », janvier 1977], p. 299-302 (publié dans la revue Photo). On retrouve ce « tel » dans le passage d’un texte sur Cy Twombly (peintre à l’homosexualité peu connue hors des cercles privés). Le passage ne porte ni sur la peinture, ni sur la photographie, mais qui décrit tout de même une image, et s’interroge sur l’essence des choses : « qu’est-ce que l’essence d’un pantalon (s’il en a une) ? Certainement pas cet objet apprêté et rectiligne que l’on trouve sur les cintres des grands magasins ; plutôt cette boule d’étoffe chue par terre, négligemment, de la main d’un adolescent, quand il se déshabille, exténué, paresseux, indifférent. L’essence d’une chose a quelque rapport avec son déchet : non pas forcément ce qui reste après qu’on en usé, mais ce qui jeté hors de l’usage. » OC V [« Cy Twomly ou ‘‘Non multa sed multum” », 1979], p. 704. ↑
- Ibid., p. 302. ↑
- Ibid., p. 299. ↑
- OC V [La Chambre Claire, 1980], p. 830 (pour la photographie : p. 832). ↑
- Roland Barthes, Le Lexique de l’auteur. Fragments inédits du Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil/IMEC, coll. « Traces écrites », 2010, p. 275. ↑
- Robert Mappelthorpe, Jeune homme au bras étendu. OC V [La Chambre Claire, 1980], p. 837. ↑
- Ibid., p. 836. ↑
- Ibid., p. 865 (la photographie se trouve p. 866). ↑
- Ibid., p. 842. ↑
- Ibid., p. 882. ↑
- Comme le note Raymond Bellour dans « Le filmique » in Roland Barthes, « En sortant du cinéma » (Antoine de Baecque, Marie Gil et Éric Marty, dir.), Paris, Herman, coll. « Textuel », 2018, p. 25-28. ↑
- OC V [La Chambre Claire, 1980], p. 885. ↑
- Le terme est déjà présent trois fois dans l’ouvrage, dans les pages qui précèdent et amorcent le thème : « [la photographie] approche alors, effectivement, de la folie, rejoint la “vérité folle” » (Ibid., p. 880) ; « une image folle, frottée de réel » (p. 882) ; « j’entrais follement dans l’image » (p. 883). Voir sur le sujet de la « folle » homosexuelle : Jean-Yves Le Talec, Folle de France. Repenser l’homosexualité masculine, Paris, La Découverte, coll. « textes à l’appui/genre et sexualité », 2014. ↑
- OC V [Fragments d’un discours amoureux, 1977], p. 171. ↑
- Barthes y a consacré un texte d’hommage à ce lieu, ici considéré comme un théâtre : « Au palace ce soir », Vogue Hommes, n° 10, mai 1978 (OC V, p. 456-458). ↑
-
OC IV [Roland Barthes par Roland Barthes, 1975], p. 715. ↑