Copi[1]
La référence à Copi – icône du courant gay qui a émergé dans les années 1960-1970 à Paris – au travers du titre d’une de ses pièces, L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer[2], ne vise pas à associer Roland Barthes au dramaturge argentin par une fantasmatique homosexuelle commune. L’univers de Copi n’a croisé le monde de Barthes que de manière latérale, par le biais notamment de leur ami Severo Sarduy avec qui Copi a eu en partage l’imaginaire baroque latino-américain, profondément nourri par la figure du travesti, du transsexuel, qui est une face particulière du désir homosexuel où se trame l’enjeu d’une métamorphose. La création de Copi la plus proche esthétiquement de Barthes aura sans doute été le merveilleux personnage de « La Femme assise[3] » qu’il a dessinée pour Le Nouvel Observateur. Plus proche du Neutre par ce que Barthes a appelé le « rarus[4] », ou la rareté du trait, du décor, de la parole, de la position assise, position assise qui est l’une des positions corporelles du Neutre : « assis paisiblement, sans rien faire[5] », et surtout par le génie d’un laconisme décroché de toute communication ordinaire.
Mais s’il faut tenir malgré tout à cette référence au théâtre de Copi, c’est du fait de la lettre même du titre – « l’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer » – où se noue une question d’une grande acuité, et que Barthes a rencontrée, comme sujet homosexuel : la rencontre avec un signifiant – le signifiant homosexuel – censé le représenter comme sujet pour d’autres signifiants, pour reprendre la formule intimidante de Jacques Lacan[6]. Le terme homosexuel éclaire d’ailleurs de manière particulièrement saisissante l’approche lacanienne. Se joue l’effroi d’une aliénation sans merci, d’un défi existentiel que peu de groupes humains ont à relever, où le signifiant homosexuel en effet représente implacablement le sujet pour un autre signifiant – par exemple « hétérosexuel », et tous ses synonymes, voire pour tous les autres mots du dictionnaire en fait, puisque la puissance d’interpellation du terme homosexuel isole virtuellement le sujet dans le champ total de la langue en tant qu’elle est une langue-loi. Il est vrai que, revers du stigmate, la promesse rassurante, selon les situations sociales, culturelles, familiales, d’une identification ambiguë à une position aristocratique, peut conférer à l’isolement un certain prestige. C’est cette ambivalence qui fait sans doute que le signifiant d’identité – ici homosexuel… mais, là aussi, pour combien de synonymes valorisants ou dégradants ? – est réputé, selon Lacan, être « imprononçable[7] ». De là bien sûr, « la difficulté de s’exprimer. »
Genet.
On comprend qu’à côté de Copi, on puisse penser également à Genet, et à l’admiration que Barthes éprouvait pour la fulgurante dialectique scénarisée par Sartre à son propos[8], et sur laquelle il revient souvent comme si elle le touchait personnellement : « Ainsi le Genet de Sartre se fait (est fait) voleur et pédé parce qu’enfant il reçoit un jour dans le dos l’appellation ‘Voleur’[9] », écrit-il un jour de décembre 1977 à Hervé Guibert dans une lettre intitulée « Fragment pour H. » où se rejoue l’idée d’une stigmatisation fondée sur la puissance interpellante du signifiant.
Le stigmate, pourtant, ne se situe plus cette fois-ci dans le partage homosexuel/hétérosexuel mais sous le poids d’une autre dialectique, une dialectique seconde. Barthes, lors d’une soirée avec Guibert, a vu dans le regard de celui-ci sa propre image lui revenir sous la forme du prédateur, du « sauteur », du « salaud[10] », et son propre désir pour le « jeune homme » lui être renvoyé sous la figure de la répulsion.
Mais ce qui est frappant dans la lettre adressée à son interlocuteur, c’est la série de relais, d’échos, de renvois auxquels Barthes procède. Le stigmate de cette soirée-là, la figure du salaud donc, est renvoyée en premier lieu à une aliénation de type mythique et fondatrice, celle qu’incarne Genet par la scène originaire où, enfant, il a été baptisé « voleur », mais en second lieu, la figure du « voleur », qui comme telle serait inopérante, est immédiatement redirigée vers une autre, qui fait surgir le signifiant homosexuel sous sa forme dévalorisée : « pédé ». Ce qui peut nous troubler en ce sens, c’est la réactivation de l’homosexualité comme référent ultime par lequel Barthes traduit l’attitude de rejet de la part du partenaire. Un partenaire qui pourtant ne peut être associé à une quelconque homophobie, mot d’ailleurs peut-être impropre à nous permettre de penser en profondeur la nature du stigmate. La puissance d’un signifiant identificatoire ne saurait se réduire aux effets des simples normes sociales ou de préjugés idéologiques et moraux. Elle touche à la structure symbolique forte de la subjectivité, ce qui explique qu’on puisse le retrouver dans un contexte où ces normes sont inopérantes et inactives. À moins que, au contraire, les normes sociales spécifiques à l’homosexualité soient si puissantes que n’importe quelle blessure les réveille.
L’autre n’a rien dit, il a simplement éloigné « spectaculairement son corps » de celui de Barthes, il a reculé « au fond de la pièce, en la quittant hâtivement » : voilà ce qui a suffi à enclencher le relais des signifiants par où le sujet finit par retrouver une situation qui semble détenir alors entièrement sa réalité, et que l’identification à Genet définit : l’homosexualité. Toute altérité difficile conduit à la répétition insistante d’un signe où le désir du sujet est comme défiguré, renvoyé à une aliénation première, aliénation à laquelle le sujet se heurte sans doute assez fréquemment pour l’avoir repérée et en avoir fait comme une part de son destin.
Hervé Guibert en publiant cette lettre une dizaine d’années après la mort de Barthes, et qu’il présente comme un « texte bouleversant », atteste qu’il y a entendu quelque chose qui le touchait également[11].
L’aventure du sujet.
L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, c’est alors l’aventure par laquelle, malgré cette apparente fatalité aliénante qui pèse sur lui, le sujet ne renonce pas à son désir, et pour cela, joue, avec toute l’ingéniosité dont il est capable, avec ce signifiant embarrassant, et songe à le déconstruire, à le truquer, à le défigurer, à l’aliéner à son tour. Ce peut être le projet de toute une œuvre, voire de toute une vie : qu’on pense à Gide ou bien à Proust.
Cette aventure a pris un tour très particulier au XXe siècle, et plus encore dans sa seconde moitié, puisque, comme tout un chacun, le sujet homosexuel, nommé comme tel un peu plus au grand jour, a été sommé de s’expliquer sur sa sexualité, d’afficher cette identité, de la revendiquer, de faire de cette visibilité sociale et collective nouvelles une sorte point de résistance, d’invulnérabilité, puis de normalité, de socialisation, dont le mariage homosexuel peut apparaître aujourd’hui simultanément comme un tournant, point de non-retour, et comme devant nourrir d’autres possibilités de droits touchant à la filiation par exemple, mais aussi donc, plus généralement, une assimilation telle que l’orientation sexuelle pourrait cesser bientôt d’avoir toute pertinence nominale et classificatrice : faire en sorte que le terme homosexuel cesse de fonctionner comme ce qui scelle une identité, déjouer donc le maléfice. Bref, que toute difficulté de s’exprimer s’évanouisse. L’un des éléments majeurs qui s’ajoute aux changements institutionnels du statut de l’homosexualité est un simple fait de langue : le processus d’exnomination de l’homosexualité, autrement dit d’effacement du mot entamé à la toute fin des années 1970 et au début des années 1980 avec l’apparition du terme « gay ». « […] il ne faut pas être homosexuel mais s’acharner à être gay[12]», explique Michel Foucault en 1982. Le terme « gay » est une très belle invention, réellement libératrice à l’intérieur même de la langue, et peut apparaître à ce titre comme une étape permettant déconstruire la fonction de signifiant-maître ou de mot-loi qui a permis au terme « homosexuel » de régner de la fin du XIXe jusqu’à la fin du XXe siècle sur les langues occidentales dans leurs variantes nationales. Mais le mot « gay » a pu paraître insuffisant dans la mesure où il est, et a été, surtout utilisé dans le monde gay lui-même et valorisé comme tel ainsi comme l’illustre le commentaire de Foucault sur le livre du grand historien Boswell dont le titre vise à séculariser le terme « gay »[13].
Contemporain de Genet, de Cocteau, de Foucault, de Copi, de Hocquenghem, de Jean-Paul Aron, de Chéreau, de Renaud Camus, de Guibert, de Sarduy, d’Yves Navarre, de Pasolini, de Warhol, de Tony Duvert…, Barthes n’aura connu que la préhistoire balbutiante de ce phénomène historiquement déterminant. Cette période a été particulièrement complexe. De nombreux discours d’alors donnent le sentiment que, plus les homosexuels font le pari de la visibilité et de la nomination, plus, en réalité, le terme homosexuel est retourné en rite expiatoire dans un tourniquet parfois sans fin[14] : tentatives où revient, comme une obsession malheureuse, le thème labyrinthique de la trahison et de la fierté d’en être que Guy Hocquenghem a pu ainsi dénoncer comme « piège pervers[15] » dans l’un de ses livres les plus fameux, Le Désir homosexuel. Il y énonce l’aspiration à une fin de l’homosexualité, là donc où « le désir homosexuel » doit se substituer à la catégorisation que porte le terme même d’homosexualité[16]. La question homosexuelle semble, à mesure que le mot se libère, se répand, et envahit les discours, renvoyer paradoxalement à des énoncés de plus en plus impossibles – comme l’a bien compris également Gilles Deleuze dans sa préface à L’Après-midi des faunes du même Guy Hocquenghem –, et cela dans une spirale forcément insatisfaisante où le sujet homosexuel demeure une conscience malheureuse, et dans une perpétuelle reprise – et donc de difficulté – de ce qu’il veut exprimer[17].
Dans cette préhistoire, Barthes aura moins choisi moins une stratégie pour trouver sa place dans ce qui était en train de devenir peu à peu une communauté visible, qu’il n’a utilisé ce qu’on appellera une rhétorique soustractive d’où défaire ce signifiant, le déconstruire, pour en faire un irreprésentable, et donc un Neutre.
Le coming out.
Dans cette période compliquée, les actes libérateurs, comme souvent dans les commencements, semblent en réalité être incapables de s’émanciper des valeurs qu’ils sont censés abolir, et parmi les « pièges pervers » identifiés par Hocquenghem, le coming out peut apparaître comme exemplaire, tant il a pu paraître alors, au revers de ses potentialités libératrices, véhiculer une très lourde rhétorique religieuse de l’aveu, rhétorique naïve de l’identification de l’orientation sexuelle à une Cause, à une communauté, et véhiculer une soumission à un protocole pernicieux de purification, de contrôle, ou un rite d’intégration. D’une certaine manière, le mariage homosexuel, et l’évolution globale de la condition gay, ont heureusement rendu en grande partie obsolète le coming out comme acte de discours particulier qui lui conférait cette ambiguïté ou cette perversité que porte en fait toute intention, toute velléité individuelle, tout calcul personnel de transparence sociale.
L’attitude de Barthes par rapport à cette émergence historique, et donc à ces appels pressants au coming out, a été très particulière, et a semblé tout à la fois éviter l’adhésion ingénue tout comme la stratégie de la spirale, celle de l’aveu-désaveu, de l’affirmation-contestation. L’évitement de l’alternative mérite peut-être d’être exploré car cet évitement fut par nécessité porteur d’une logique sans doute plus paradoxale – au sens propre d’opposée à la doxa, à l’opinion générale – que celles du oui ou du non, et même du oui/non.
On pourrait, dans un premier temps, proposer, pour repérer cette logique, ce qu’on pourrait appeler une sorte d’extravagance barthésienne, scène allégorique tout à la fois représentative de l’époque et réponse à l’époque, où se joue précisément, contre la difficulté de s’exprimer, une sorte de rage de l’expression, attirant d’autant plus notre curiosité que la scène est généralement interprétée au contraire comme un désir de dissimulation, comme l’inverse même du coming out.
L’épisode, raconté dans les deux biographies de Barthes, celle de Louis-Jean Calvet et celle de Tiphaine Samoyault[18], a lieu en 1972. Barthes y apprend qu’un paragraphe d’un livre de Dominique de Roux relatant une conversation entre Georges Lapassade et Jean Genet, ayant sans doute lieu à Tanger, fait état de son homosexualité. La conversation relève du commérage, et l’information est donnée sous diverses formes : Barthes cloisonne sa fréquentation des « bordels à garçons » et sa vie de « talmudiste », et le papotage – une des modalités les plus courantes de l’outing – s’achève sur une formule de Genet : « Barthes, c’est une bergère[19]. » Ici, sans doute, la métaphore employée par Genet, et qui se double d’une très belle syllepse – puisque la bergère est tout à la fois le fauteuil suggérant la féminité bourgeoise et la jeune fille sentimentale –, est suffisamment typique de sa rhétorique pour ne pas ne pas apparaître comme particulièrement venimeuse, et en ce sens, exerçant cette fonction interpellante du signifiant où se joue précisément chez l’interpelé une difficulté à y répondre, à s’exprimer[20].
Or, Barthes agit très curieusement. On dira qu’il agit sur le mode de ce qu’il a appelé en 1978 dans son cours sur le Neutre, l’hétéroklitos. Non pas le Neutre du « ni-ni », de l’abstention pure, du silence, de l’exemption de la réponse, mais le Neutre de l’irrégulier, du perturbé, du perturbant, du désordre, et de l’imprévisible, de ce qu’on a donc appelé une extravagance[21]. Figure étonnante du Neutre qui nous éloigne de sa version passive, feutrée, blanche, adoucie.
Barthes, en effet, demande à Christian Bourgois, éditeur de livre de de Roux, d’aller découper la page incriminée dans autant de librairies qu’il pourra. Et, c’est avec un cutter que Christian Bourgois lui-même est allé – non arracher comme cela a été écrit[22] – mais soigneusement découper la page 187 du livre dans plusieurs librairies de Saint-Germain et du Quartier Latin. La théâtralité, le caractère profondément insolite du commandement, dont on se demande comment Bourgois a pu y obtempérer, sinon comme au caprice d’un tyran oriental, s’apparente ici à un acting out – un passage à l’acte, sorte de coup de folie, de parade qui exhibe au grand jour ce que simultanément le sujet est censé vouloir cacher. Acting out plutôt que coming out : voilà comment on pourrait nommer la réaction de Barthes. Passage à l’acte, accompli pourtant avec méthode, froideur, la froideur du cutter qui soigneusement découpe. Acte qui déjoue donc également « la logique du placard », ou du secret, soit ce que la philosophe féministe américaine Eve Kosofsky Sedgwick a appelé the epistemology of the Closet[23]. La fonction révélatrice de cet acting out n’est nullement un lapsus, un acte manqué, une trahison de soi, qui, eux, obéissent à la pratique ordinaire du camouflage révélateur, mais l’acting out construit ici une « épistémologie » ouvrant à une tout autre logique.
L’acte que Barthes téléguide ne fait qu’éclairer par son caractère spectaculaire ce qui aurait dû rester dans l’ombre, et cela d’autant plus qu’il l’ébruite en y associant quelqu’un d’autre, Christian Bourgois, et bien sûr Dominique de Roux dont le livre va être scandaleusement amputé d’une page et retiré de la vente, et qui bien entendu rompra bruyamment avec son éditeur.
Barthes inverse la logique du coming out puisque, à l’opposé de l’espèce d’ingénuité ou d’aspiration à l’honnêteté, voire à la sainteté, propres à la confession, la révélation de son homosexualité qui, loin d’être dissimulée est au contraire confirmée, l’est sur un mode profondément retors. Bizarre, et en cela, mais en cela seulement, queer, d’autant plus que ce terme « queer », qui désigne tout à la fois l’étrangeté et l’homosexualité, a été employé pour la première fois dans ce sens par William Burroughs, l’un des inventeurs du cut-up, l’art textuel du découpage[24]…. Le caractère audacieux, extravagant, insolite de ce « cut-up » barthésien, fragmentant agressivement le potin indiscret à son propos relève d’un acte strictement symbolique car sans portée pragmatique : le livre est déjà distribué et la presse en même déjà parlé[25].
D’une certaine manière le cut-up fait alors de ce geste un singulier « biographème » barthésien, un épisode où toute la stylistique d’une vie se révèle, où l’acting out devient en quelque sorte acte d’écriture, allégorie, c’est-à-dire, rejoint ce que Barthes appelle avec Baudelaire « la vérité emphatique du geste » dans certaines circonstances de la vie : nul doute en effet qu’il y a bien de l’emphase dans cet acting out[26]. Biographème qui associe à l’incongruité profonde du passage à l’acte, une tonalité aigre-douce qui a la saveur déconcertante propre à ces koans des Maîtres zen que Barthes aimait à rapporter. Brève anecdote, absurde, énigmatique, paradoxale, aporétique, hors de la logique ordinaire, qui, par une réponse plus opaque que l’interpellation, aspire à faire cohabiter éveil et égarement, de produire l’un par l’autre, produire l’éveil par le saugrenu. En ce sens alors, ce biographème est bien un koan, un peu comme l’est l’attitude inattendue du héros de La Recherche du temps perdu en réponse à la drague agressive de Charlus, acculé, écrit Barthes, à un acting out – « le seul de tout le livre » précise-t-il – le piétinement du chapeau du baron et son déchiquetage[27]. Geste qui prend aussi, si l’on veut, l’apparence du carnavalesque.
Dans le langage psychanalytique, le terme de acting out renvoie à un acte insolite du patient – soit au cours de la séance de psychanalyse, soit en dehors – par lequel celui fait disjoncter la relation transférentielle qu’il entretient avec son analyste. On peut dire que Genet par sa métaphore de la bergère, s’est placé, sinon en position d’analyste à l’égard de Barthes, du moins, par un jeu habile sur le signifiant, en situation d’interpréter Barthes comme un symptôme : interprétation refusée agressivement par un acte qui ne corrobore pas l’interprétation, et va même jusqu’à défaire – par l’extravagance – la possibilité même de l’interprétation. La réponse du berger à la bergère en quelque sorte.
Le Refus.
Ainsi, perpétuellement, Barthes situe « la question homosexuelle » dans la logique de ce qu’on pourrait appeler l’ordre symbolique, l’ordre du langage ou l’ordre du sens, mais cet ordre symbolique, loin de coïncider avec la loi, ne semble trouver à s’exprimer que dans les chicanes de l’écriture, où se joue, seule, la question du désir. C’est pourquoi si l’aliénation portée par le signifiant homosexuel relève du socius, de l’ordre social, sa résolution, elle-même, obéit, à une pure logique du sens, on dira à une pure logique formelle, avec tous les détours que cela suppose. De sorte que la rhétorique ou dialectique soustractive que Barthes oppose à la fonction aliénante du signifiant « homosexuel », se tient à l’écart de ce qu’il a appelé le « politico-sexuel » et qu’il rejette dans le célèbre fragment du Roland Barthes par Roland Barthes, du « J’aime/Je n’aime pas[28] », en tant que le « politico-sexuel » ne peut que reproduire l’ordre qu’il conteste en partageant avec lui la même logique discursive : celle de la justification, de la classification, de l’identification.
Mais par quoi remplacer le politico-sexuel, quelle autre politique du sujet lui substituer ? De ce point de vue, Il y a cette déclaration de Barthes en 1977 qui répond de manière assez brutale à l’absence d’alternative dans laquelle le « social » ou l’idéologique tend à placer le sujet en ne lui laissant pas le choix : « Je n’ai jamais vraiment souffert de l’interdit sexuel, bien qu’il pesât, il y a quarante ans, beaucoup plus lourd qu’aujourd’hui. J’avoue franchement qu’il m’arrive de m’étonner de l’indignation de certains contre l’emprise de la normalité[29]. » Barthes ajoute ceci qui engage alors plus pleinement sa position subjective : « […] à la notion de l’’interdit’, de ce qui est interdit, s’est toujours substituée celle du ‘refusé’, de ce qui est refusé. Ce qui me faisait souffrir, ce n’était pas d’être interdit mais d’être refusé, ce qui est tout à fait différent[30]. »
Le propos de Barthes par lequel il prétend échapper à l’Interdit est décisif là encore par son caractère paradoxal : réfutation d’une croyance ou d’une opinion massive autour de la puissance prescriptive des censures, des normes, des interdits, et qui constituent le fondement même de la rationalité politique moderne. Il y a sans aucun doute une dimension provocatrice dans ce propos lorsque Barthes « avoue franchement » s’étonner de l’indignation de certains contre « l’emprise de la normalité », tant il contrecarre sans aucune précaution l’un des plus importants stéréotypes de l’imaginaire contemporain. Nul doute que Barthes imagine fort bien l’indignation que ne manquera pas de susciter cette phrase, tant évidemment il aurait été (et il serait) facile de lui opposer mille exemples douloureux de l’emprise sociale de la normalité. On ne peut pas ne pas alors associer la logique paradoxale de Barthes à celle qu’au même moment Foucault déploie de manière plus spectaculaire encore, avec la publication en 1976 de La Volonté de savoir dans lequel il définit, lui aussi contre toute l’époque, le dispositif de sexualité, non comme dispositif répressif, mais au contraire comme dispositif d’incitation à la parole, à la prolifération de la parole sur le sexe et la sexualité, où ainsi la « perversion » renvoie à une politique « d’implantation » propre au dispositif lui-même[31]. Ce renversement du mécanisme mental sur lequel repose en Occident la tradition idéologico-politique n’a pas été, semble-t-il complètement analysé dans toutes ses conséquences et notamment dans la réfutation de la nature ontologiquement négative du pouvoir mais aussi dans l’inversion de la définition de la norme comme relevant non de la privation de la parole mais comme incitation à parler. La coïncidence entre le propos de Barthes et l’intervention foucaldienne est d’autant plus intéressante à pointer qu’en réalité, sur cette question, Barthes a précédé Foucault puisque c’est au tout début des années 1970 qu’il écrit : « la censure sociale n’est pas là où l’on empêche, mais là où l’on contraint de parler[32]. » Cette inversion est évidemment précurseur du nouveau cran de déconstruction que la Modernité a tenté de mettre au jour à ce moment-là, principalement dans une sorte de dissidence générale à l’égard des épistémologies marxistes ou freudiennes, fondée sur le négatif, que confirmeront les livres de Deleuze, de Derrida ou de Lyotard.
L’assimilation faite par Barthes entre la censure et la contrainte à s’exprimer justifie bien entendu les soupçons à l’égard des vertus émancipatrices du coming out. À un niveau plus anecdotique, cela éclaire également le paradoxe qui veut que Barthes, dépeint généralement comme inquiet de que son homosexualité soit révélée, y était dans l’espace public totalement indifférent, comme ses amis peuvent l’attester. Julia Kristeva en témoigne également, à propos de leur séjour en Chine en 1974, à l’occasion duquel Barthes d’ailleurs ne fait état d’aucune répression particulière de l’homosexualité dans le journal qu’il tient pendant ce voyage. La scène décrite a lieu en public et cela en pleine agitation maoïste, Barthes écrit apparemment après avoir dragué la personne dont il est question : « Charmant prof. En treillis bleu. Sa main, douce et tiède – et j’apprends que c’est un ouvrier[33].»
Ainsi sur le désir ne pèse aucune inhibition sociale, pas même, en ce sens, par rapport à la Mère dont on fait l’origine d’un Barthes honteux de son homosexualité, comme l’illustre par exemple le fait de placer dans La Chambre claire, à l’articulation du livre entre ses deux parties, c’est-à-dire juste avant la découverte de la fameuse photographie du Jardin d’Hiver de la Mère (« Or, un soir de novembre… »), une photographie de Mapplethorpe, « Jeune homme au bras étendu [34]», véritable icône d’une culture gay, parfaitement assumée.
Le fait de vider le signifiant « homosexuel » de sa fonction représentative du sujet, de sa fonction causale, de sa fonction légiférante, n’a rien d’abstrait puisque c’est à l’intérieur de l’ordre social que le Neutre est actif en neutralisant délibérément le caractère effectif de la Loi, la Loi comme porteuse d’interdits.
La neutralisation n’est nullement un acte d’irresponsabilité. Bien au contraire, c’est un surcroît d’implication subjective car Barthes ajoute, comme on l’a vu, qu’à la notion d’interdit, se substitue une autre : celle du refus, celle d’être refusé. Autrement dit, s’il y a du négatif, il ne porte pas sur l’identité – l’identité homosexuelle – mais sur le désir, sur le désir que comme sujet j’adresse à autrui, comme par exemple dans l’aventure malheureuse avec Hervé Guibert. C’est à ce degré-là que le rejet du « politico-sexuel » prend toute sa mesure.
La question du négatif relève ainsi entièrement de la responsabilité du sujet. C’est en ce sens que Barthes anticipe et rejoint le dernier Foucault dans un travail commun pour briser la dernière doxa, la dernière mythologie de l’intellectuel européen par la déconstruction d’une vision du pouvoir comme négativité, c’est-à-dire du pouvoir comme Loi. Il le fait, non pas comme Foucault, en vue d’y substituer une analytique de la norme, mais par un retour à une problématique du désir, d’une éthique de l’existence qui d’ailleurs n’est peut-être pas si éloignée que cela d’un autre Foucault, autre que celui de La Volonté de savoir, le Foucault ultime qui va s’intéresser, à son tour, à ce qu’il a appelé la stylistique de la vie, le récit de soi, l’esthétique de l’existence[35].
Pour le sujet du désir, il n’y a pas d’Interdit, pas de répression. Le sujet du désir ne connaît pas la peur. La peur n’est une passion que pour le sujet de plaisirs toujours inquiet d’en être privé. Entièrement guidé par un éréthisme – terme barthésien – c’est-à-dire une excitabilité perpétuelle, l’épopée sodoméenne dont Barthes parle à propos de Loti – dans un fragment précisément intitulé « L’Interdit » -, est un labyrinthe dont le sujet est l’unique et obstiné organisateur, sans aucun souci pour son intégrité, et dont le scénario est celui de la drague[36].
H.
Le Neutre a pour objet premier de défaire la fonction classificatrice du langage, et donc de neutraliser la fonction distinctive du signifiant, c’est-à-dire la Loi, puisque, aux yeux de Barthes la classification des Noms ne peut être que classification des « Fautes [37]». C’est donc tout une éthique du langage qui permet au sujet d’échapper dans son désir à la problématique du langage ordinaire, du langage socialisé.
Parmi les opérations rhétoriques typiquement barthésienne, il y a l’usage de la lettre car la lettre, par opposition au signifiant, est aussi ce qui délivre de la Loi, à certaines conditions que Barthes justifie : « La Lettre si elle est seule, est innocente : la faute, les fautes commencent lorsqu’on aligne les lettres pour en faire des mots (quel meilleur moyen de mettre fin au discours de l’autre que de défaire le mot et de le faire revenir à la lettre primordiale ?[38]).» Avec la lettre – à condition qu’elle soit seule – les mots cessent d ‘être des lois.
Or, Barthes nous a fait le cadeau d’une lettre qui n’est pas touchée par la loi, par aucune possibilité de faute : « gracieuse et incorruptible[39] » pour reprendre les mots qu’il applique à Erté, ce dessinateur expert en matière de lettres, c’est bien sûr la lettre H. « La Déesse H », dans un fragment célèbre de son Roland Barthes par Roland Barthes[40].
Lettre qui appelle à la fascination puisqu’elle est sans valeur phonétique propre contrairement à toutes les autres lettres de l’alphabet. Il s’agit d’un son perdu par la langue française qui ne reste donc présent que par la graphie et non phonétiquement. Rimbaud l’a choisie dans les Illuminations, avec le poème H, comme emblème de sa sexualité auto-érotique en opposition avec les voyelles du fameux sonnet éponyme « A noir, E blanc, I rouge… », qui renvoient, elles, au spirituel, à la métaphysique idéalisante du logos, de l’alpha à l’oméga[41]. H : le neutre parfait.
En détachant la lettre h (qui est ici un h muet) du signifiant « homosexualité », Barthes accomplit jusqu’au bout la logique d’une rhétorique soustractive, sorte de cut-up nouvelle manière qui prive le mot de toutes ses lettres sauf une, celle-ci devenant du coup prononçable pour s’être détachée de tout sémantisme, et seulement par cet acte soustractif : c’est vraiment l’exemption du sens permise par ce que Barthes a appelé la lettre primordiale. « Défaire le mot et le faire revenir à la lettre primordiale ».
Le fragment de la lettre H, intitulé « La déesse H. », est un éloge de la perversion : « La Loi, la Doxa, la Science ne veulent pas comprendre que la perversion, tout simplement, rend heureux[42] », où l’on retrouve la fonction répétitive de la lettre puisque h est aussi la première lettre de « heureux », sa fonction contagieuse également puisque elle est ce qui permet de vivre la vie comme « Texte » : inscrivant la différence où vient loger « le Texte de la vie, la vie comme texte »; ailleurs il dira « la vie en forme de phrase[43] » : la lettre littéralise tout ce qu’elle touche, telle est sa force. Force qui va jusqu’à la rendre divine : « la Déesse H. ». Intercesseur pour le sujet, comme écrit Barthes, comme « figure invocable ».
La soustraction du signifiant, sa désémantisation, n’est pas totale puisque, malgré tout, il réapparaît dans sa forme pleine « homosexualité ». Il faut tricher un peu en le dégonflant de son prestige par la juxtaposition d’un double, « Haschisch », qui lui ôte alors toute régence. Reste donc « La déesse H. » qui fait écran aux mots dont elle est l’emblème.
Est-ce tout ? Sans doute pas, car règne sur la lettre « H » une aura bien particulière que lui confère dans le fragment le titre de « déesse » : la déesse « H », comme figure féminine. On peut se demander s’il y a vraiment une déesse H. et où elle est. En réalité, la seule déesse du Roland Barthes par Roland Barthes, au sens où une déesse c’est une figure d’apparition, une épiphanie, est cette femme qui surgit au verso de la couverture du livre sur fond d’Océan, comme une Vénus anadyomène, dans une photo qui par son léger flou a quelque chose en effet d’auratique au sens que Walter Benjamin a donné à ce terme, à savoir le nimbe, le halo, la magie d’une apparition, celle « d’un lointain si proche soit-il », selon la belle expression qu’il emploie dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique[44]. Or cette déesse représentée par la photographie, c’est la Mère, la mère de l’auteur. Évidemment la mère est une déesse H., ce H qui, comme pour homosexualité, est la première lettre du signifiant qui la prénomme : Henriette. Ce jeu de la lettre ne semble pas ici fortuit, puisque dans un entretien, Barthes à propos de ce fragment, « la déesse H », introduit la figure maternelle l’associant au fragment parce que dit-il : « La perversion, par le relais du fétichisme, implique un rapport particulier avec la Mère[45]. » La lettre est un fétiche, c’est le mot transfiguré en fétiche, ici le nom de la mère, le H.
La lettre H. peut être alors le support de nombreux scénarios puisqu’en intitulant sa lettre à Hervé Guibert, « Fragment pour H. », Barthes, volontairement ou non, nouait les fils de la lettre à une autre fétichisation, une autre divinisation, où s’accomplit, sans réserves, l’aventure de la lettre qui détache de toute loi et qui fait du désir le terrain scénographique que Barthes prédisait en écrivant : « Prenez une lettre : vous verrez son secret s’approfondir (et ne jamais se fermer) le long d’associations (de métonymies) infinies où vous retrouverez tout, du monde[46]. »
Ainsi la déesse H. possède d’innombrables avatars, d’innombrables émanations terrestres.
Dans la présentation du tome III des Œuvres Complètes, j’avais fait l’hypothèse qu’avec S/Z, le monogramme d’un titre de livre pouvait nous entraîner vers une sorte de récit crypté à la Perec, auteur de W ou de Borges auteur d’Aleph, puisque S et Z sont très précisément les consonnes d’appui du nom de celui qui fut, après la mort du père, le compagnon de la mère, le géniteur du demi-frère, Salzedo : S/Z, Sarrasine et Zambinella, le jeu de la femme et du castrat. Il me semble alors que la déesse H. apporte un nouvel élément au dossier d’une vie en forme de cryptogramme.
Mais que devient l’homosexualité ? Chacun pourra répondre à sa guise. Elle n’est pas là par hasard en tout cas, mais sans doute, que, comme simple jeu rhétorique, elle souffre de la concurrence que lui impose la déesse H légitime, la mère, comme le petit Éros, Hervé Guibert, et, dès lors, comme signifiant, fait figure d’artefact. Non que le désir pour les garçons y perde en importance, mais artefact, au sens où l’homosexualité se révèle comme catégorie, ce qu’il faut surmonter.
Alors que le discours Homosexuel ne fait qu’inverser les sexes et donc les reconnaît, reconnaît le caractère axiomatique de la différence sexuelle, le discours amoureux, selon Barthes, lui, indifférencie les places, transgresse la division des sexes, des identités sexuelles, et aussi donc indifférencie homosexualité et hétérosexualité [47]. C’est pourquoi Barthes ne tient pas le discours de l’homosexualité, parce que celui-ci ne cesse, par les multiples codes qu’il fait proliférer, de produire des contraintes qui sont comme une forme seconde et retorse de la loi à laquelle il prétend échapper. « Le fait majeur de l’Homosexualité dans la société présente, écrit Barthes dans les années 1980, c’est qu’elle est implacablement et incessamment récupérée par un code intérieur à elle-même […] et qui est extensif à la loi[48]. »
« Il n’y a pas de discours sur l’homosexualité. L’h n’a pas son discours. Peut-être qu’il est en elle de ne pas en avoir – non qu’elle soit si maudite qu’elle ne puisse parler, mais au contraire parce qu’elle est si banale, si commune (si vulgaire) que le propre du discours lui est impossible. Pourquoi le langage s’arrêterait-il à l’homosexualité .
Mais il y a eu, dira-t-on de grands discours homosexuels, Proust, Genet. – Eh bien, parlons-en. N’est-il pas visible que ce ne sont pas : le discours de l’homosexualité[49]? »
Le discours homosexuel serait donc une mythologie, une de plus à ajouter à celle décrite par Barthes dans le livre du même nom, comme la déesse, Greta Garbo et tant d’autres. Une mythologie qu’il ne faut surtout pas refouler, supprimer mais avec laquelle il faut jouer, y compris alors avec un certain cynisme en s’y soustrayant. La lettre H propose un mythe personnel à la place d’une mythologie sociale, suspendant peut-être la « difficulté de s’exprimer », et laissant ouvert l’amour des garçons. Là où se situe, plus encore que dans l’acting out, la véritable rage de l’expression.
Notes
- Une version abrégée de cette intervention est parue dans la revue Esprit, mai 2023. ↑
- Crée en 1967 par Jorge Lavelli, publiée chez Christian Bourgois en 1971. ↑
- Appelée aussi « La Dame assise ». Copi, La Femme assise, Stock, 2002. On peut imaginer que la BD autour du « double sens » et du « double tranchant » qui se résout de manière « structuraliste » est secrètement dédiée à Barthes (op. cit., p. 54). ↑
- Barthes emploie ce terme à propos de Twombly, « Sagesse de l’art » (1979), Œuvres Complètes t. 5, Paris, Seuil, 2002, p. 692. ↑
- Vita Nova, Œuvres Complètes, t.5, Paris, Seuil, 2002, p. 1011. ↑
- Cette formule de Lacan apparaît entre autres dans « Subversion du sujet et dialectique du désir » (1960), Écrits, Seuil, 1966, p. 819. Il l’associe plus explicitement au processus d’aliénation du sujet dans Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Séminaire XI, texte établi par Jacques-Alain Miller, Seuil, 1973, p. 214. On y retrouve un écho du premier Sartre, par exemple dans L’Être et le Néant « […] l’homme, étant transcendance, établit le signifiant par son surgissement même et le signifiant à cause de la structure même de la transcendance est un renvoi à d’autres transcendants qui peut se déchiffrer sans recours à la subjectivité qui l’a établi. » (Paris, Gallimard, TEL, 1972, p. 663). ↑
- « Subversion du sujet et dialectique du désir », op. cit., p. 819 ↑
- Saint Genet, comédien et martyr [1952], Paris, Gallimard, 2006, p. 26-88. ↑
- « Fragments pour H. », (1977), OC, t.5, op. cit., p. 1006. ↑
- Ibid. ↑
- Hervé Guibert a publié la lettre de Barthes dans L’Autre Journal du 19 mars 1986. ↑
- « Entretien avec M. Foucault », Masques, Printemps 1982, Dits et Écrits, t. II, Paris, Gallimard, Quarto, 2001, p. 1114 ↑
- « Choix sexuel, acte sexuel » (1982), Dits et Écrits, t. II, op. cit., p. 1139. Le titre anglo-américain du livre de Boswell est Christianity, Social Tolerance and Homosexuality : Gay People in Western Europe from the Beginning of the Christian Era to the Fourteenth Century…. La traduction en français de 1985 chez Gallimard supprime l’expression « Gay People » du titre remplacé les « les homosexuels ». ↑
- L’illustration la plus significative de cet effort pour vaincre la difficulté de s’exprimer ces années-là pourrait être la publication collective de Trois milliards de pervers, Grande Encyclopédie des Homosexualités en mars 1973 sous la direction de Guy Hocquenghem (Recherches n°12, mars 1973), qui donne la parole à des homosexuels ou lesbiennes anonymes racontant leur « vécu ». Certaines pages, notamment celles de la section « Les Arabes et nous » (p. 10-19) ont été considérées alors comme racistes. Bien différent dans la forme comme dans le fond fut le numéro de Recherches paru trois après Co-ire Album systématique de l’enfance, publié par René Scherer et Guy Hocquenghem, Recherches, n° 22 mai 1976. ↑
- Sur ce point voir aussi les textes très éclairants de David M. Halperin, « L’identité gay après Foucault » et de Leo Bersani « Trahison gaie » dans Les Études gay et lesbiennes, colloque du Centre Pompidou 23-27 juin 1997, Textes réunis par Didier Éribon, Paris, 1998. ↑
- « Le désir homosexuel a été enfermé dans le jeu de la honte qu’il n’est pas moins pervers de transformer en jeu de la fierté. « Guy Hocquenghem, Le Désir homosexuel, Éditions Universitaires, 1972, p. 113, et voir l’ensemble de la section intitulée « le piège pervers » (p. 112-114). ↑
- La préface de Gilles Deleuze à L’Après-mai des faunes (1974) a été reprise dans L’Île déserte et autres textes, Minuit, 2002 ; Deleuze, dès les premières lignes, récrit le titre du livre d’Hocquenghem ainsi : « Il aurait pu s’appeler ‘ Comment des doutes naquirent sur l’existence de l’homosexualité ; ou bien, Personne ne peut dire ‘je suis homosexuel’ », op. cit., p. 395. ↑
- Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, Paris, Seuil, 2015 p. 549-550. ↑
- Dominique de Roux, Immédiatement [1972], Paris, La Table ronde, 1995, p. 189. ↑
- Cet art, parfois inouï de la rhétorique, trouve dans ses premiers récits des occasions fascinantes de s’exercer, voir sur ce point notre « Jean Genet politique, le grand malentendu. Logiques de l’homonymie » in Jean Genet, post-scriptum, Verdier, 2006. ↑
- Sur « l’hétéroklitos » la figure XVII « L’Oscillation » Le Neutre, cours au Collège de France (1977-1978), Seuil, 2023. ↑
- . C’est le verbe qu’utilisent les deux biographies : Louis-Jean Calvet, Roland Barthes, Flammarion, 1990, p. 230 ; Tiphaine Samoyault, op. cit., p. 549. L’épisode du « cutter » est attribué par Tiphaine Samoyault à des amis de Barthes. ↑
- Eve Kosofsky Sedqwick (1950-2009) Epistemology of The Closet, University of California Press, 1991, traduit en français sous le titre de Épistémologie du placard (trad. E. Kosofsky Sedwick et M. Cervulle), éditions Amsterdam, 2008. ↑
- Queer est le titre du grand texte autobiographique de Burroughs écrit en 1953. ↑
- C’est précisément en lisant un compte-rendu du livre de Dominique de Roux dans Le Figaro que Barthes en a pris connaissance, Tiphaine Salmouyault, op. cit., p. 549. ↑
- Barthes a cité fréquemment un propos de Baudelaire sur « la vérité emphatique du geste dans les grandes circonstances de la vie ». ↑
- Comment vivre ensemble, Cours au Collège de France (1976-1977), texte établi et annoté par Claude Coste, Seuil-Imec, 2002, p. 215. Voir A la recherche du temps perdu, II, Le Côté de Guermantes, Paris, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, 1988, p. 847 ↑
- Roland Barthes par Roland Barthes, OC, t. 4, op. cit., p. 692. ↑
- À quoi sert un intellectuel ? (1977), OC, t. 5, op. cit., p. 367. ↑
- Ibid., p. 368. ↑
- Voir sur ce point Histoire de la sexualité I, La Volonté de savoir, chapitre II « L’hypothèse répressive », Gallimard, 1976, p. 23-67, et notre Le Sexe des Modernes, Pensée du Neutre et théorie du genre, Paris, Seuil, Fiction & Cie, 2023, p. 383-402. ↑
- Sade, Fourier, Loyola, OC, t. 3, op. cit., p. 811. ↑
- Carnets du voyage en Chine, établi par Anne Herchberg Pierrot, Paris, Christian Bourgois/Imec, 2009, p. 26. Pour Julia Kristeva voir Les Samouraï, Paris, Fayard, 1983. ↑
- La Chambre claire, OC, t. 5, op. cit., p. 837. ↑
- Voir par exemple pour Foucault « L’Écriture de soi » (1983), « Une esthétique de l’existence » (1984) etc. présents dans le tome II de Dits et Écrits, Paris, Quarto, Gallimard, 2001. ↑
- « Pierre Loti : « Aziyadé », in Nouveaux essais critiques, OC, t. 4, op. cit., p. 111. ↑
- Fragments d’un discours amoureux, OC, t. 5, op. cit., p. 66. ↑
- « Erté ou A la lettre », OC, t. 3, op. cit., p. 936. ↑
- Ibid., p. 937. ↑
- “La déesse H.” est le titre d’un bref fragment du Roland Barthes par Roland Barthes qui commence ainsi : « Le pouvoir de jouissance d’une perversion (en l’occurrence des deux H : homosexualité et haschisch) est toujours sous-estimé [….] », OC, t. 4, p. 643. ↑
- Le sonnet se termine par ce vers « -Ô l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! ». ↑
- Roland Barthes par Roland Barthes, op. cit., p. 643. ↑
- La Préparation du roman, Points, 2015, p. 273-276. ↑
- Walter Benjamin, Oeuvres III, Folio, Gallimard, 2000, p. 280. ↑
- « Vingt mots clés », OC, t. 4, p. 874. ↑
- « Erté ou à la lettre », op. cit., p. 933. ↑
- Le Discours amoureux, op. cit., p. 167-168. ↑
- La Préparation du roman, op. cit., p. 42. ↑
- Fiche inédite et non datée, Fonds Roland Barthes BNF. ↑